Le Conseil des Troubles
s'étant perdus, étant tombés ou inspectant de mauvaises pistes.
Hélas, ceux qui se trouvaient lancés à ses trousses poussaient des hurlements, sans doute moins dans le but de le terroriser que de rallier les autres teutoniques qui entendraient fatalement ces cris.
Bamberg, voyant la longue ligne droite qui ne pouvait que favoriser sa rapide monture, poussa celle-ci au triple galop.
*
Marion de Neuville attisait le feu dans la cheminée lorsque des hurlements lui firent suspendre son geste. Des hurlements, dans ce paisible village, la chose lui parut singulière, voire déplacée, et elle courut à la fenêtre pour assister à un spectacle qui la stupéfia.
Un cavalier arrivait à la vitesse du vent et son élégance lui parut sans pareille. Les étriers réglés assez court, jambes légèrement repliées, il en retirait l'immense avantage d'être presque couché sur l'encolure de son cheval et, comme elle le devina aussitôt, le poids de son corps se trouvait ainsi réparti avec intelligence, n'accablant point sa monture. Il tenait d'une main les rênes court et de l'autre frappait à plat alternativement le cou et la croupe du cheval, le bras allant d'avant en arrière. Jamais on n'eût pu croire qu'avec cette position en selle, c'est-à-dire en équilibre, il fût possible d'ainsi se déchaîner mais cet homme, cavalier exceptionnel, entendait gagner et s'en donnait tous les moyens.
Derrière, lourdauds et patauds, ses trois poursuivants pouvaient bien hurler, ils se faisaient de plus en plus distancer.
Pourtant, Marion ne put retenir un cri d'effroi. En effet, en la maison d'en face, le riche apothicaire avait fait à l'été installer une prétentieuse fontaine mais les canalisations ayant éclaté deux jours plus tôt sous l'effet du froid, l'eau s'était répandue pour geler presque aussitôt. Et la plaque de glace, qui allait d'un bord à l'autre, s'étendait sur plus de quatre mètres de long. Allant à pied, on pouvait se risquer sur l'étroite berme herbeuse mais sur un cheval lancé au grand galop...
Son coeur, succombant sans réfléchir à la beauté, choisissait sans hésiter le cavalier qui portait l'uniforme des officiers supérieurs de dragons quand elle ressentit une haine instinctive pour ses poursuivants sans grâce. Et ce coeur sensible se trouvait blessé à l'idée que le beau cheval et son cavalier - qui ne l'était pas moins... - allaient se tuer, se rompre le cou sous ses yeux dans un horrible bruit d'os, de pattes cassées, de nuque brisée...
Elle voulut s'écarter de la fenêtre pour ne point assister à si funeste spectacle. Mais non, elle ne le pouvait, le sort de ce cavalier la préoccupait beaucoup trop pour qu'elle s'en désintéressât tout en se prenant à espérer l'impossible.
La cause était entendue, le cavalier, lancé en pleine course, ne pouvait plus ralentir sa monture et Marion allait détourner la tête lorsque...
Non ? ... Non !... Mais si ! Ainsi, il osait cela !... Ah, c'était folie mais quelle beauté ceux qui ne renoncent jamais, ceux qui savent dire « non » à ce qui semble fatalité et se battent avec acharnement jusqu'à la dernière seconde de leur vie, la dernière pulsation du coeur !
Il « enlevait » son cheval!... Comme pour un banal saut d'obstacle. Il l'accompagnait dans le franchissement, il le portait par des gestes parfaits et la force de sa volonté, la bête et lui ne faisaient plus qu'un ensemble vivant qui tentait superbement l'impossible.
Quatre mètres !
Le cheval, sur son élan, sauta. Un instant qui parut l'éternité, il apparut à deux mètres du sol, jambes lancées, cavalier couché sur l'encolure. Jamais la jeune femme ne s'était trouvée à contempler pareil spectacle où l'on remarquait tout à la fois grâce, force et beauté. Pourquoi cette image semblait-elle devoir durer toujours ? Elle remarquait les plus infimes détails, le chapeau à plumes, les gants gris perle, le brassard jaune et rouge, le sabre au côté, les bottes rutilantes, un sac sur l'épaule et ce profil d'un homme de trente ans, les joues creusées, le visage osseux d'où émanait une telle force qu'elle eût aimé se placer sous sa protection, qu'il la prenne dans ses bras puissants.
Puis l'image, un instant arrêtée, s'accéléra, chassée par d'autres. Le cheval avait presque réussi l'impossible, ses pattes avant touchant le sol durci. Hélas, les pattes arrière mordant sur la glace, il se trouva déséquilibré. Le train arrière
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