Le Conseil des Troubles
chassant vers la gauche, il tenta un mouvement à droite pour se rétablir mais le poids de son corps le fit verser.
Déjà, les bottes du cavalier quittaient les étriers et, dans cette périlleuse situation, il sauta, chutant, bien sûr, mais en prenant soin de choisir où et en épargnant son sac.
Il se releva aussitôt et cela paraissait fou en raison de la vitesse à laquelle il enchaînait les gestes. Tandis que le cheval se relevait, l'officier des dragons, ôtant un gant lui désigna les lointains tandis qu'introduisant deux doigts en sa bouche, il lançait un puissant coup de sifflet. Prenant aussitôt le petit trot, la bête s'éloigna tandis que le cavalier ramassait son chapeau, se frappait la cuisse avec pour se dépoussiérer, remettait son gant, sortait son sabre et se plaçait au milieu de la route.
Les trois cavaliers, surgissant à cet instant, ne purent lancer leurs montures contre lui, la flaque gelée le leur interdisant.
Ils s'approchèrent, l'épée à la main, tentant de le bousculer du puissant poitrail de leurs chevaux.
Derrière sa vitre, Marion, qui en avait vu beaucoup plus long que les trois hommes, se dit que c'était là fort mauvais calcul, l'officier de dragons étant trop excellent cavalier pour ne point tout savoir des chevaux. Et de fait, il saisit une des montures par le mors, lui tourna la tête tandis que son sabre s'enfonçait droit dans le foie d'un des hommes qui s'effondra sur le sol dans un bruit mou.
Aussitôt, les deux autres mirent pied à terre et Marion remarqua leur blanche tunique de toile légère frappée d'une grande et sinistre croix noire qui la mit fort mal à l'aise.
Tous deux se précipitèrent. Ils savaient tenir une épée mais la jeune femme ressentit cependant qu'en contrant des coups habiles, l'officier prenait surtout la mesure de ses adversaires.
Puis ce fut stupéfiant : en quelques secondes le sabre, à la volée, sectionna la gorge d'un des assaillants tandis que frappant d'estoc, l'officier enfonça la lame dans l'oeil du second avec une telle force qu'elle ressortit par l'arrière du crâne.
Ses trois adversaires morts, le dragon regarda autour de lui, prêtant l'oreille d'un air préoccupé.
Puis il scruta la barrière du jardin de Marion et allait se réfugier derrière le tronc du vieux pommier lorsque la jeune femme perçut le martèlement de sabots d'une nombreuse troupe de cavaliers.
Sans penser à son geste, mais sans hésiter non plus, elle ouvrit sa porte et fit signe au dragon, lequel s'engouffra si rapidement dans la maison qu'elle ne vit pas son visage.
Puis, derrière sa fenêtre, elle regarda la dizaine de cavaliers qui hésitaient devant les chevaux, les cadavres et la grande flaque gelée.
Braillards, vulgaires, ils se disputaient tandis qu'à l'écart deux autres discutaient en allemand.
Enfin, ils mirent pied à terre et, tenant les chevaux par la bride, passèrent un à un sur l'étroite bande herbeuse du côté.
Cependant, ils laissèrent un des leurs en faction.
Marion recula, cherchant à s'éloigner prudemment de la fenêtre puis elle se retourna pour faire face à l'inconnu auquel elle venait d'ouvrir sa porte dans un mouvement généreux mais irréfléchi...
24.
Il était près de midi lorsque le baron Baptiste de Tuboeuf fit arrêter sa voiture à proximité de la petite église Saint-Médard.
Le bleu du ciel, qui avait illuminé la matinée, disparaissait sous une lourde chape de nuages gris fer qui aussitôt stagnèrent très bas sur la ville. Le pâle soleil d'hiver disparut lui aussi et peut-être n'était-ce qu'un tour de l'esprit mais soudain il sembla aux Parisiens qu'il faisait beaucoup plus froid.
Tuboeuf frissonna et jeta un regard incertain sur l'église, hésitant à se rendre à ce singulier rendez-vous.
Tout avait été extrêmement rapide. En général, ce genre de rencontre où de part et d'autre la prudence est de mise demande des semaines, voire des mois de préparation.
Mais l'or, toujours, s'avère un puissant magicien et il n'est jusqu'au temps qui, devant sa puissance, ne se trouve comme comprimé. S'étant adressé aux bons interlocuteurs auxquels fut promise une exceptionnelle gratification, raccourcissant d'autant les délais et faisant clairement savoir que son offre alléchante ne tenait que dans la mesure où l'on ferait diligence à le bien servir, tout soudainement le baron de Tuboeuf n'osait pénétrer dans l'église alors que jusqu'ici il en avait été fait ainsi
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