Le Conseil des Troubles
tueur, au contraire, lui paraissait bien augurer du succès de l'entreprise.
Augustin de Nestoc reprit :
— Avant d'aller plus avant en le détail de l'affaire qui nous réunit, est-il une chose que vous désirez savoir?
— Comment avez-vous pu prendre la place du prêtre ?
— Cette vieille sorcière de curé aimait trop les garçons, j'ai cru de mon devoir de chrétien de l'envoyer au plus tôt chez Satan où finissent, dit-on, les sodomites.
Tuboeuf avala difficilement sa salive. Ce monde n'était assurément pas le sien et l'effrayait, surtout la voix tranquille du tueur contant d'un ton amusé si abominable crime.
La curiosité l'emporta cependant :
— Faites-vous ce... métier depuis longtemps?
— Bientôt sept ans. J'ai traité fort peu d'affaires, mais toujours importantes. Je n'ai jamais eu à répondre aux gens de police ou de justice, j'appartiens à une noblesse assez ancienne, j'ai jadis été officier, je ne bois pas, fréquente peu les femmes et occupe mes loisirs à traduire du grec ancien. Je n'ai jamais été pris, j'ai toujours réussi en mes entreprises et pas un de ceux qui m'ont employé n'a vu mon visage. Êtes-vous satisfait ?
— Comment ne point l'être ? répondit Tuboeuf à présent sous le charme de cette voix tranquille, si près d'un tueur que nul ne connaissait.
Un doute lui vint brusquement :
— Mais cependant, vous avez laissé des cadavres derrière vous ?
— Rien que neuf.
— Mais... on vous recherche !
— Rechercher qui?... Rechercher quoi?... À ma deuxième affaire, un lieutenant de police en grande amertume m'a appelé « le Feu Follet ». Ainsi me nomme-t-on faute de rien savoir de moi mais ils pourraient aussi bien m'appeler « cochon de lait » ou « papillon de nuit », ils ne seraient pas moins impuissants à me trouver.
Tuboeuf en vint à l'essentiel :
— On vous a dit, pour l'homme en question ?
— Oui. De tous, il sera assurément le plus difficile à saisir. Mesurez-vous bien qui vous me demandez de tuer ?
Tuboeuf ne répondit pas et Nestoc poursuivit :
— Je pourrais vous dire que c'est un duc, un général de dragons, le chef de la plus magnifique des troupes d'élite et que le roi de France le tient en haute estime et bonne amitié. Assurément, je pourrais vous dire cela...
La voix devint plus saccadée lorsque, après cette brève hésitation, Nestoc reprit :
— Mais je préfère vous dire ceci : c'est un loup, un fauve, le plus redoutable des guerriers. Il voit la nuit, entend avant tout le monde, est insensible au feu et guérit plus vite qu'on ne vit jamais. Il est un grand danger, il est peut-être ma mort.
Un pénible silence s'installa. Tuboeuf, d'une voix déçue, demanda :
— Alors... vous renoncez?
Le ton de Nestoc retrouva brusquement sa légèreté :
— Tout au contraire, cette chasse est un grand bonheur. Mais ce sera cher, très cher.
— Combien?
— 250 000 livres. À ce prix, soyez assuré qu'il est déjà aussi mort que les neuf autres.
— Un quart de million de livres, c'est considérable !
— La marquise d'Ey ne les vaut-elle pas ?
— Vous savez cela?
M. de Nestoc ne répondit pas sur l'instant puis, d'une voix soudain glacée :
— Votre réponse ?
— C'est oui.
25.
Ils se faisaient face, à moins de deux mètres de distance. Et se regardaient.
Chose étrange, en vérité, car ces regards insistants et curieux où l'on brûle de se découvrir ne correspondaient ni à la nature de Marion de Neuville, ni à celle de Bamberg.
Dès le premier instant, il fut sous le charme. Elle était grande et mince, d'une émouvante beauté, la taille fine et souple, la démarche hautaine, cela se trouvant rehaussé par le fait qu'elle se tenait très droite. Avec son port de tête altier, elle avait beaucoup d'allure. En outre, belle brune qu'on subodore sage et vertueuse, elle possédait à son insu quelque chose de piquant. Enfin, il aima ses yeux verts et lui soupçonna des aptitudes à la gentillesse, à l'esprit et au rire. Il ne songea pas même à établir une comparaison avec Mme d'Ey puisque brusquement, la belle marquise n'existait plus, n'avait jamais existé.
Elle le contemplait comme elle ne le fit jamais d'aucun homme. Elle fut séduite à la seconde par ce visage tourmenté, maigre, osseux; dur visage de soldat habitué aux conditions extrêmes de la vie : le froid, la fatigue, la faim, la violence et la douleur. Visage énergique d'un homme qui ne devait jamais se plaindre, surmonter
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