Le cri de l'oie blanche
forme de pèlerine du
second uniforme, fatiguée par l’énervement et ses trois mois d’insomnies, quand
Germaine Larivière arriva avec son uniforme sur le bras.
– Est-ce que tu achèves ? C’est que
je voudrais repasser ma robe ce soir.
– Deux ou trois minutes.
Germaine Larivière haussa les épaules,
impatiente, sortit une lime de sa poche et commença à se limer les ongles. Le
bruit qu’elle faisait agaça Blanche, qui fit un faux pli. Elle mouilla la
surface ratée et recommença.
– Franchement, c’était pas nécessaire de
faire ça. Ça aurait même pas paru parce que c’était en dessous du collet.
– Ça fait rien. Moi, je l’aurais su.
Blanche se reconcentra sur son travail, sous
le regard de plus en plus intéressé de Germaine. Celle-ci se tortilla sur un
pied et émit le petit claquement de langue qui lui était caractéristique.
Blanche savait qu’il faisait l’objet d’imitations et de moqueries.
– Est-ce que tu sais, Blanche, que si tu
es acceptée comme étudiante, tu vas recevoir sept dollars par mois comme
paie ?
– Je sais ça. C’est presque quatre fois
moins que ce que je faisais avant.
Blanche se tut, furieuse d’avoir ajouté cette
phrase qu’elle avait dite uniquement pour impressionner Germaine. Cette
dernière sourit. Elle s’approcha de Blanche, regarda autour pour s’assurer que
personne n’entendrait ce qu’elle avait à dire.
– Si tu veux, je te donne cinquante sous
par uniforme que tu me repasses. J’en ai six. Ça fait trois dollars par semaine
ou douze par mois. Plus les sept que l’hôpital va te donner, ça fait dix-neuf.
Pis… j’ai l’impression que je serais pas ta seule cliente.
Blanche serra les lèvres. Quelque chose chez
elle devait transpirer la pauvreté et son acharnement à s’en sauver. L’offre de
Germaine la blessait au plus profond de sa sérénité presque nouvellement acquise.
Mais ce revenu supplémentaire lui permettrait d’expédier plus que son salaire –
si mince fût-il – à sa mère et de quand même avoir de l’argent de poche pour
son après-midi de congé hebdomadaire, même si elle n’avait pas l’intention de
sortir de l’hôpital. Elle posa son fer à repasser et le débrancha. Germaine
grimaça.
– Soixante sous ?
Blanche fit un autre calcul rapide. Plus elle
aurait de repassage à faire, moins elle aurait de temps à consacrer aux
malades. Les malades étaient plus importants que ses sorties. Elle sourit
intérieurement. Si, deux minutes plus tôt, elle avait eu l’intention de
refuser, ce qu’elle avait manifesté en débranchant le fer à repasser,
maintenant Germaine venait de l’ébranler. Mais c’est à ses conditions qu’elle
accepterait de travailler.
– J’vas te dire quelque chose, Germaine.
Pour ce soir, je veux bien repasser ton uniforme, mais ça va te coûter un
dollar.
– Un dollar ?
– Oui. À c’t’heure, si tu veux que je
repasse tes six uniformes par semaine, pis je dis repasser, pas laver, ça va
être soixante sous chaque…
– C’est parfait !
– À condition que tu m’en trouves six
autres pour le même prix. Je sais que les buanderies chargent à peu près la
même chose, mais mon travail est mieux fait, pis personne va avoir besoin de
courir ses uniformes quand il pleuvra ou qu’il neigera. Ils vont toujours être
ici, bien prêts.
Germaine grimaça encore. Elle plissa les yeux
en regardant Blanche et celle-ci sut qu’à son tour Germaine venait d’être
humiliée. Elle aurait à quémander pour avoir le service qu’elle voulait.
Blanche sourit intérieurement.
– Pis je te donne deux jours pour ta
réponse.
– Es-tu malade ? Demain, c’est la
cérémonie…
– Pour laquelle tu veux avoir un bel
uniforme bien pressé… Deux jours…
Blanche rebrancha le fer à repasser et se
tourna vers Germaine, la main tendue. Germaine voulut y déposer son uniforme.
Blanche retira sa main.
– Non. L’argent d’abord.
Germaine tourna les talons et disparut.
Blanche en profita pour porter les uniformes à sa chambre.
– Ça te prend combien de temps pour
repasser un uniforme, Blanche ? J’ai l’impression que tu as été partie
pendant une heure.
– Non. Ça me prend à peu près douze
minutes chaque.
– Mon Dieu ! Est-ce que tu comptes
tes minutes comme ça tout le temps ?
– Non, pas tout le temps. Juste ce soir.
Marie-Louise demeura la bouche ouverte, sans
répliquer. Elle connaissait assez bien sa
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