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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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Larivière. Le photographe sortit la tête de
sous sa toile et soupira. Il se tourna vers Marie-Louise.
    – Est-ce que toutes les gardes-malades
sont sérieuses comme elle ?
    – Non. Elle est obligée d’être sérieuse
parce que c’est la première de la classe. Vous allez voir qu’avec moi ça va
aller plus vite.
    Blanche rit des propos de Marie-Louise,
d’autant plus que celle-ci bougea à la première pose, éternua à la deuxième,
plissa le nez à la troisième, centra mal sa coiffe pour la quatrième, grimaça à
la cinquième et fut distraite par l’arrivée inopinée d’une employée à la
sixième.
    Leurs éclats de rire descendirent la rue
Saint-Hubert avec elles. Blanche, maintenant libérée de l’œil inquisiteur de
l’appareil photo, pouvait se détendre et s’esclaffer sans gêne.
    – On devrait arrêter de rire aussi fort,
Blanche. Le monde nous regarde.
    – Pis ?
    – On a nos uniformes !
    – Tant mieux. Le monde va savoir que
c’est pas parce qu’on est des gardes-malades qu’on est obligées d’avoir l’air
malades.
    – Peut-être que le monde peut penser
qu’on rit des patients.
    Blanche se tut, les paroles de l’hospitalière
en chef lui résonnant tout à coup entre les deux tempes.
    – C’est vrai. Des fois, le monde comprend
pas.
    Elles marchèrent donc comme deux vraies nonnes
jusqu’au parc LaFontaine. Elles ne s’attardèrent pas près de l’étang, glacé
depuis la veille.
    – C’est une vraie chance qu’on ait eu
notre après-midi de congé en même temps.
    – Pourquoi est-ce que tu m’as fait attendre
pendant deux heures ? On aurait pu prendre un rendez-vous plus de bonne
heure pis nous promener dans Montréal un peu.
    – Parce que j’avais des affaires à faire.
    Blanche s’était refermée. Elle n’avait pas dit
à Marie-Louise qu’elle repassait des uniformes. De même qu’elle avait fait
promettre à Germaine et à ses autres clientes de se taire. Ses compagnes, trop
contentes d’être soulagées de la corvée du repassage, s’étaient tues. Depuis
qu’elle avait été officiellement acceptée comme étudiante garde-malade, Blanche
consacrait en moyenne deux heures de toutes ses journées de congé à effectuer
son petit travail. Elle avait déjà expédié ses premiers profits à sa mère.
    – Penses-tu qu’on va avoir de la neige
avant Noël ? J’ai jamais vu un mois de décembre comme ça. Je trouve que la
ville est laide en titi quand l’hiver arrive tout nu.
    Blanche éclata de rire. Marie-Louise avait
toujours une expression inattendue.
    – Ça paraît que c’est ton premier ici.
Crois-moi, quand la neige tombe en ville, ça prend pas grand temps pour que tu
la mélanges avec le charbon.
    – C’est si pire que ça ?
    – Oui, mam’zelle. Laid ! Laitte ,
comme les hommes disent chez nous.
    – Mais dans le parc, ça doit pas être si
pire. On peut patiner.
    – Oui, dans le parc, c’est pas si pire.
Mais faut traverser la rue Sherbrooke avant d’y arriver. Pis je te jure qu’on a
des chances d’être sales avant même de mettre nos patins.
    – En as-tu ?
    – Quoi ?
    – En as-tu ?
    – De quoi est-ce que tu parles ?
    – Des patins. En as-tu ?
    – Ben non. Ça coûte trop cher. Toi ?
    – Ben non. Ça coûte trop cher !
    Elles éclatèrent encore une fois, riant de
leur conversation sans motif puisque ni l’une ni l’autre n’avait de patins.
    – C’est quoi, ta pointure ?
    – Moi ? Cinq, des fois six.
    – C’est de valeur. Moi, c’est sept, des
fois huit.
    – Ça fait qu’une paire de patins pour
nous deux, c’est pas possible.
    – On peut rien te cacher.
    – À moins que moi je mette quatre paires
de bas pis que toi tu acceptes de geler des pieds. On achèterait des six et
demi. En moyenne, ça devrait être correct.
    Blanche lui donna un coup de coude et ricana
encore. Puis elle devint plus sérieuse, plissa les yeux et pinça les lèvres.
Marie-Louise la regarda, l’air moqueur.
    –  O. K., Blanche. À quoi tu penses ?
    Blanche sursauta. Elle ne s’habituait toujours
pas à entendre les gens dire «  O. K.  ». C’était le mot nouveau, le mot à la mode.
Tout était devenu «  O. K.  ». Les cours étaient «  O. K.  », alors
qu’elle les trouvait passionnants. Les gens étaient «  O. K.  », alors
qu’elle les trouvait intéressants. Les vêtements étaient «  O. K.  », alors
qu’elle les trouvait élégants. Il s’en trouvait même

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