Le cri de l'oie blanche
d’instruction possible. Il pourrait enseigner aux niveaux supérieurs.
– Fais confiance à Paul, Marie-Ange.
Comme dirait moman, il a une bonne tête sur les épaules.
– Mais pas de santé.
– C’est quoi, son problème, au
juste ?
– Savent pas encore. En ce moment, il passe
des examens à l’Hôtel-Dieu.
– L’Hôtel-Dieu ? Pourquoi est-ce
qu’il est pas venu à Notre-Dame ?
– Comme je connais Paul, c’est
probablement parce que c’est là qu’est sa sœur.
Blanche retourna au salon et regarda Paul.
Pendant toute leur enfance, ils avaient été près l’un de l’autre,
« presque jumeaux » comme ils se plaisaient à le dire. Elle
s’approcha de son frère et, mal à l’aise devant la souffrance qu’elle venait de
lire dans ses yeux, ne put rien faire de plus que de lui tapoter une épaule en
lui demandant de raconter à Marie-Louise l’histoire de la grenouille écrasée.
Paul fit un sourire chagrin et raconta l’histoire, dont Blanche rit trop fort.
Pendant le repas, l’oncle Ovide, ignorant du
drame de Paul, fit les frais de la conversation, racontant tous les détails
croustillants de l’histoire de France dont il avait pu prendre connaissance
dans les centaines de livres qu’il avait lus.
– Faudrait, mon oncle, que vous regardiez
l’histoire de la Nouvelle-France de près aussi. On sait jamais. Peut-être que
nos ancêtres étaient pas aussi catholiques qu’on le pense.
En disant ces mots, Blanche rougit et se
tourna vers son frère. Paul, heureusement, souriait.
– Mais oui, mon oncle. Vous devez avoir
entendu parler de la « position du missionnaire » ?
Paul regarda Blanche, un sourire moqueur au
coin des lèvres, mais ce fut Marie-Louise qui rougit.
La réplique de Paul allégea l’atmosphère pour
le reste du repas et tout le monde assista à un combat d’érudition entre
l’oncle et le neveu. Rose, l’esprit embrouillé par son incompréhension, tenta
de faire dévier la conversation sur le mariage prochain de Sarah mais celle-ci
la fit taire gentiment et Rose envia secrètement sa nièce de dormir
profondément, le nez sur la table.
– Blanche ! As-tu vu l’heure ?
Neuf heures et demie passées. Faut qu’on parte !
– Je pense pas qu’on va se faire chicaner
si on arrive un peu en retard. Après tout, demain c’est congé.
– Pas pour la maladie.
Paul échappa sa cuiller et tout le monde le
regarda fixement. Marie-Louise, qui avait voulu l’impressionner par son sens du
devoir, comprit qu’elle venait de commettre un impair. Elle regarda Blanche,
mal à l’aise.
– Tu as raison. Faudrait qu’on parte.
Georges se leva de table en même temps qu’elle
et Marie-Louise pour les raccompagner. Paul l’en empêcha.
– Si les deux gardes-malades ont pas
d’objection, je pourrais les reconduire en tramway.
Marie-Louise s’empressa de répliquer que cela
était préférable à l’auto. Marie-Ange regarda Georges, dépitée.
– Je veux pas dire par là que j’ai pas
apprécié que votre mari vienne nous chercher. J’ai juste pas l’habitude de
pousser une machine.
Marie-Louise s’embourbait autant qu’elle
l’avait fait dans la rue. Blanche vint à son secours.
– C’est une bonne idée. Comme ça, Georges
va pouvoir rester au chaud. Pis vous, mon oncle, est-ce que vous venez
aussi ?
– J’vas partir avec Rose pis Sarah.
Moqueur, il jeta un coup d’œil en direction de
Marie-Louise avant d’ajouter :
– J’aime bien l’auto du fiancé de Sarah.
La neige tombait encore mais le temps avait
refroidi, glaçant les trottoirs. Paul tint le coude de sa sœur. Marie-Louise
marchait un pas derrière eux, n’attendant que le moment où Paul lui
présenterait son autre coude.
– On doit être beaux à voir. Un prêtre
pis deux gardes-malades. Tu penses pas, Blanche ?
Blanche ne répondit pas mais sentit la main de
son frère lui serrer l’avant-bras. Marie-Louise haussa les épaules, davantage
d’incompréhension que de déception.
Elles rentrèrent à l’hôpital avec une
demi-heure de retard. La sœur hospitalière ne fit aucune remarque, sachant
qu’elles avaient travaillé d’arrache-pied toutes les deux.
Blanche se déshabilla en silence pendant que
Marie-Louise ne cessait de la remercier de sa gentillesse ; elle aborda
enfin le sujet qui la préoccupait depuis leur retour.
– Est-ce que ton frère a prononcé ses
vœux ?
– Non.
– Quand est-ce qu’il va être un
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