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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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voile pour regarder devant, c’était avec
Marie-Louise. Maintenant, elle ne voulait plus regarder. Son avenir se limitait
à l’addition que leur apporterait le serveur et que Pierre prendrait galamment
et discrètement.
    – Je sais pas si c’est parce que tu es
allée dans ta famille cet été mais, depuis ce temps-là, on dirait que tu as
changé.
    – C’est possible.
    – Cesse de répondre comme ça !
Comment est-ce que tu veux qu’on se connaisse si tu dis jamais rien ? Tu
dis jamais rien, Blanche. Tout est correct ou parfait. Le personnel de
l’hôpital est dévoué, alors que tu sais comme moi qu’il y en a qui sont des
imbéciles. Tu dis rien. Tu m’as même jamais dit pourquoi tu avais déchiré le
chèque de M.  Pariz eau.
    Blanche haussa une épaule. Elle attendait
toutes ces remarques mais elle n’avait pas envie d’expliquer.
    – Je t’ai demandé ce que faisait ton
père. Tu m’as répondu que ta mère enseignait. Je t’ai demandé combien tu avais
de frères et de sœurs. Tu m’as répondu que vous étiez assez nombreux pour faire
une division d’école de campagne. Qu’est-ce que tu penses que ça me dit,
ça ? J’ai jamais mis les pieds dans une école de campagne !
    Blanche retint un sourire, se souvenant que
cette réponse, quand elle l’avait donnée à Pierre, l’avait amusée.
    – Tout ce que je sais, c’est que tu as
deux sœurs à Montréal. Jamais, depuis le temps qu’on est ensemble, tu m’as
proposé de les rencontrer. As-tu honte de moi ?
    Aux mots « depuis le temps qu’on est
ensemble », Blanche avait haussé les sourcils. Elle écrasait avec sa
fourchette les dernières miettes de son gâteau, résistant à l’envie de les
prendre entre son index et son pouce pour en faire de petites boules.
    – J’aurais dû savoir que tu me dirais
rien ce soir non plus.
    Pierre avait l’air découragé et Blanche n’avait
pas envie de l’aider à sortir de son désespoir. Pour cela, il lui aurait fallu
dire ce qu’elle pensait, raconter la vérité ou mentir. Aucune de ces
perspectives ne la réjouissait.
    – Bon. Tu sais où me trouver. Jusqu’à
nouvel ordre, je suis toujours médecin à Notre-Dame et mon cabinet est toujours
su r Des Érables. Jusqu’à nouvel ordre…
    Blanche comprit que Pierre mijotait quelque
chose pour essayer de piquer sa curiosité. Elle mourait d’envie de savoir ce
qu’il avait en tête mais retint sa question. Parler maintenant, rompre son
désintéressement, n’aurait fait que reporter une échéance inéluctable. Elle
avait depuis longtemps pris sa décision de ne jamais être M me  Pierre
Beaudry.
    Pierre se leva et Blanche fut surprise de voir
que son trouble était tel qu’il en oublia de régler l’addition avant de sortir.
Elle accepta de le faire en riant presque du comique de la situation. La seule
certitude qu’elle avait eue en entrant au restaurant ne s’était même pas
produite. Elle rentra chez elle à pied, seule sous un ciel qui avait cessé de
cracher.
    Elle aperçut d’abord une ombre et jeta un coup
d’œil en direction de la lune pour voir si l’arbre qui se trouvait devant la
maison en était l’artisan. Mais l’ombre bougea et la saisit par le poignet.
L’ombre pleurait.
    – Tu peux pas me faire ça, Blanche. Je
voulais te demander en mariage pis tu as rien fait pour me retenir. Ça fait des
années que je pense à ça. Tu me retiens même pas. Si c’est l’argent que tu
veux, je vais en avoir plus que tu pourras jamais en dépenser. Si tu veux des
enfants, on va en avoir des centaines. Si tu veux une grande maison, on va en
construire une, à Outremont ou à Westmount ou
à Saint-Tite. Pourquoi est-ce que tu veux pas me dire ce que tu veux ?
    Blanche regardait la bouche de Pierre et eut
envie de mordre dedans, ne fût-ce que pour s’assurer qu’elle était vivante. À
s’entendre penser, elle en doutait.
    – Qu’est-ce que tu veux ?
    – M’occuper de mes malades.
    – Moi aussi, c’ est
ce que je veux ! Mais il y a pas rien que ça dans la vie. J’ai
vingt-huit ans. Toi, vingt-six. On est déjà vieux pour commencer une famille.
    – Qui a dit que je voulais une
famille ?
    Pierre se tut, éberlué. Elle avait parlé, mais
il n’avait pas entendu ce qu’il souhaitait. L’amour qu’il vouait à cette femme
d’apparence aussi fragile frôla de près la frontière de la haine.
    – Des fois, je trouve pas une grande
différence entre toi et les statues de

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