Le cri de l'oie blanche

apporterait des provisions pour éviter de revenir à la
maison. Elle tenterait de rentrer pour le souper, vers cinq heures. À six heures,
elle se promettait d’être à son bureau pour recevoir des patients pendant la
soirée. Le curé avait exprimé ses doutes.
    – À lire ça, on dirait que vous allez
soigner tous les malades d’Abitibi.
    – Je dis pas que j’vas travailler tout le
temps. Je veux juste que les gens sachent que je suis ici.
    Blanche attendit toute la journée que
quelqu’un vienne frapper à sa porte. Celle-ci demeura close jusqu’à la tombée
du jour. Elle alluma un fanal qu’elle suspendit à l’extérieur pour éclairer son
escalier et rentra continuer son travail d’identification de chacune des fioles
de sa pharmacie. Quelqu’un frappa enfin. En moins de deux, elle se retrouva
devant Paul.
    – Paul !
    – Je viens visiter la garde-malade de mon
canton.
    Paul enleva son manteau et le posa sur un des
crochets que Blanche avait installés dans le couloir. Il regarda partout autour
de lui d’un œil curieux et appréciateur.
    – Est-ce qu’on peut demander un
café ?
    Blanche le précéda à la cuisine. Ils
s’assirent et Paul expliqua à sa sœur qu’il n’avait pu la visiter à la Cache,
trop pris par son travail.
    – Surtout pour l’inventaire et la
comptabilité. Je pense pas que je vais servir au comptoir. Je voulais te dire,
Blanche : le village est baptisé. C’est d’ailleurs moi qui ai suggéré le
nom à l’agent de la colonisation.
    – Toi ?
    – Oui. J’espère que ça va être accepté.
Si oui, je vais acheter des cartes du Québec simplement pour regarder ça
imprimé pis me dire que j’ai laissé ma marque. Ça fait longtemps que j’ai fait
ma proposition.
    Blanche apercevait la visible fierté de son
frère mais il avait la voix enrouée et elle savait que c’était davantage la
maladie que le travail qui l’avait empêché de la visiter.
    – Laisse-moi deviner, Paul. Je mettrais
ma main au feu que ça commence par Saint ou Sainte quelque chose.
    Paul sourit en sirotant son café.
    – Non.
    – Non ? Où est rendu mon oblat de
frère ?
    Blanche se prit la tête à deux mains et
feignit un profond désespoir. Paul éclata de rire.
    – Veux-tu la première lettre ?
    –  O. K.
    – C’est la vingt-deuxième de l’alphabet.
    Blanche compta sur ses doigts.
    – C’est Val, Ville ou Vert ?
    – Ville.
    Blanche éclata de rire.
    – Tu veux rire ! Ville ? Tu
dois avoir la mémoire courte. Ville ? Ici, en plein milieu de nulle
part ? En plein bois ?
    – Tu l’as !
    – Comment ça, je l’ai ?
    – Ici, ma chère sœur, on est dans le
canton Villebois.
    – Villebois…
    Blanche sourit à ce nom. Il lui plaisait. Elle
habitait un endroit dont le nom rappelait les deux grandes décisions de sa vie.
    – J’aime ça. Je trouve ça original.
Presque poétique.
    Paul sourit d’une fausse modestie mais
abandonna son plaisir quand Blanche bondit sur ses pieds pour ouvrir à quelqu’un
qui venait de frapper.
    Un colon entra, la casquette dans les mains,
l’air aussi recueilli que s’il avait pénétré dans une église.
    – Je m’excuse de vous déranger comme ça
le soir, garde, mais on m’a dit que vous aviez commencé à travailler. C’est à
cause de ma femme. Son temps est arrivé. Son temps est pas arrivé mais ça a
tout l’air que oui quand même.
    – Est-ce que c’est votre premier
enfant ?
    – Non. Le quatrième. Mais c’est la
première fois que ça arrive avant le temps.
    – C’était censé être pour quand ?
    – Au début d’avril.
    Blanche soupira. Le bébé n’était prématuré que
de deux semaines au plus.
    – J’arrive.
    Elle prit sa trousse, en vérifia le contenu,
enfila son manteau et sortit derrière son client, oubliant Paul dans la
cuisine.
    Elle entra dans la maison du colon,
s’interdisant de regarder autour d’elle. Elle entendit les cris et les rires
des enfants plus âgés mais ne les vit pas. Elle suivit le père au chevet de sa
femme. La dame était souriante, ce qui la rassura.
    – C’est la première fois que j’accouche
pas toute seule. J’ai dit à mon mari que c’était pas nécessaire de vous
déranger. Mais lui a dit qu’à c’t’heure qu’on avait une garde-malade, c’était
mieux. Je pense pas que ça soit trop long. Au quatrième, le chemin est fait.
    – Est-ce que ça fait longtemps que c’est
commencé ?
    – Certain. Depuis deux