Le cri de l'oie blanche
heures. Ça pousse
déjà pas mal.
– Vous permettez que je vous
examine ?
La femme regarda son mari, inquiète et
intimidée.
– C’est que… c’est que j’ai pas habitude
d’être examinée là…
– Pensez-y. J’vas m’asseoir ici. Si vous
vous décidez, vous avez juste à me le dire.
Blanche s’assit et regarda sa montre
discrètement. La dame n’avait pas menti. Les contractions étaient très
rapprochées. Elle se sentit ridicule et inutile. Assise, une jambe croisée,
souriant bêtement à une étrangère qui transpirait toute l’eau de son corps. Le
mari était sorti de la pièce et elle l’entendait crier aux enfants de se taire.
– Je pense que la tête va passer bientôt.
Vous pourriez peut-être regarder…
Blanche s’approcha de la femme sans rien
brusquer. Elle souleva la couverture et fut étonnée par la grosseur du ventre.
Elle le palpa doucement, cessant toute pression dès qu’une contraction venait
l’écraser.
– Est-ce que d’habitude vous avez des
gros bébés ?
– Des tocsons. Jamais un en bas de
huit livres.
La femme avait haleté en répondant. Blanche
fut rassurée.
– J’vas regarder plus bas. Juste pour
voir si l’ouverture est assez grande. Si ça vous gêne, fermez les yeux. Ça va
me prendre deux minutes.
La femme ferma les yeux mais ce fut pour se
concentrer et pousser. Blanche n’osa pas faire d’examen interne. Elle sortit
son stéthoscope et l’appliqua sur le ventre, près de l’ aine .
Elle le monta ensuite près du diaphragme. Elle hocha la tête et encouragea la
mère à pousser.
– Vous avez raison. Je pense que dans dix
minutes on va avoir de la compagnie.
Elle sortit de la chambre et demanda au mari
de lui apporter de l’eau et des linges propres de même que trois ou quatre
couvertures pour le bébé. Elle revint près de sa patiente. Elle lui parla en
l’encourageant, tout en sortant ses ciseaux et le fil pour le cordon. Elle
retroussa ses manches.
– J’vas placer un oreiller sous vos
reins. Ensuite j’vas m’asseoir au pied du lit et attendre le bébé.
Le mari vint porter ce qu’elle avait demandé
et ressortit aussitôt de la chambre. La femme avait maintenant oublié tous ses
scrupules et s’accrochait tantôt à la tête du lit, tantôt au sommier, pour
s’aider. Blanche était impressionnée par son silence. Elle n’entendait qu’un
gémissement parfois au début d’une contraction. Elle aperçut enfin une petite
tête gluante forçant les dernières résistances du corps de la mère. Elle tendit
une main pour supporter la tête.
– Vous allez pousser mais j’vas essayer
de retenir le bébé un peu. On sait jamais. Peut-être que ses épaules sont trop
larges. En le retenant un peu, on peut empêcher que ça déchire.
La femme montra qu’elle avait compris et
poursuivit ses efforts. Blanche recueillit le bébé dont elle évalua le poids à
au moins six livres et le posa délicatement à côté de sa mère après lui avoir
libéré le nez. Il respirait seul et bien. Elle l’enroula dans deux couvertures
et le coucha sur le côté dans son moïse, sans le laver. La mère la regardait
faire, perplexe, se demandant pourquoi Blanche ne l’avait pas nettoyé. Elle eut
une contraction. Blanche attendit pour voir si elle expulserait le placenta.
Rien ne sortit. Elle soupira et sourit à sa patiente.
– À c’t’heure, madame, on recommence.
– On recommence quoi ?
– On recommence pour le prochain. Vous en
avez deux.
La femme essaya de pleurer ou de rire. Blanche
ne comprit pas sa grimace. Les contractions recommencèrent et un second garçon,
identique au premier, arriva rapidement, presque aussitôt suivi du placenta.
Blanche appela le père à son secours.
– Auriez-vous un grand panier ou un grand
tiroir ou quelque chose ? Vous avez deux bébés pis un seul moïse.
Le père demeura bouche bée devant les deux
poupons qui s’agitaient. Il sortit de la chambre et revint presque aussitôt en
tenant un grand panier d’osier. Le panier à lavage, pensa Blanche. Elle y mit
un drap pour couvrir les aspérités puis posa un oreiller au fond. Le bébé,
maintenant propre et langé, s’y endormit rapidement.
Blanche préféra rentrer chez elle à pied. Elle
quitta une mère souriante, un père ahuri, des aînés heureux de pouvoir partager
les nouveaux frères qui, eux, n’eurent jamais conscience de sa visite.
La nuit était claire et fraîche, la lune
illuminant suffisamment la
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