Le Crime De Paragon Walk
couleur sombre? Avait-il les mains calleuses?
Elle réfléchit juste une fraction de seconde.
— Oh ! fit-elle, frémissant de surprise. Oui, vous avez raison. Il était bien habillé. Ce devait être un gentleman. Je me souviens de manchettes blanches. Et il avait les mains douces, mais...
Elle baissa les yeux.
— ... d’une force inouïe !
Il poursuivit l’interrogatoire, mais elle n’avait rien d’autre à lui révéler. Son agresseur n’avait pas prononcé un mot; elle se tut finalement, bouleversée, incapable de continuer.
Pitt dut capituler et se rabattre sur la routine de la recherche d’indices. Au cours d’une longue et épuisante nuit, Forbes et lui interrogèrent tous les hommes de Paragon Walk qu’ils furent obligés de tirer du lit, furieux et effrayés. Comme la première fois, chacun put fournir un alibi suffisamment plausible, mais sans la preuve formelle qu’il ne s’était pas trouvé dehors pendant ces quelques instants fatidiques.
Afton Nash était dans son bureau, mais celui-ci donnant sur le jardin, il aurait pu aisément se glisser à l’extérieur sans être vu. Jessamyn Nash jouait du piano; elle n’aurait su dire si Diggory était resté dans la pièce toute la soirée. Freddie Dilbridge était seul dans son jardin d’hiver qu’il envisageait de redécorer, expliqua-t-il. Grâce n’était pas avec lui. Hallam Cayley et Paul Alaric vivaient seuls. Unique consolation, George était allé en ville, et il semblait hautement improbable qu’il eût regagné Paragon Walk en douce.
Les domestiques furent tous questionnés, et leurs réponses, comparées. Certains avaient été occupés à des activités qu’ils auraient préféré garder secrètes : il y avait trois liaisons sentimentales distinctes et une partie de cartes au cours de laquelle une forte somme d’argent avait changé de mains. Il y aurait peut-être des congédiements dans la matinée ! Mais la plupart d’entre eux soit avaient un alibi, soit s’étaient trouvés précisément là où ils étaient censés être.
Pour finir, dans l’aube tiède et immobile, la gorge sèche et les yeux rougis par le manque de sommeil, Pitt dut admettre qu’il n’avait pas avancé d’un pouce.
Deux jours plus tard, il reçut enfin une réponse de Paris concernant Paul Alaric. Debout au milieu du poste de police, il contempla la lettre, plus désorienté que jamais. La police française n’avait relevé aucune trace de lui ; elle s’excusait de ce retard, mais une demande de renseignements avait été expédiée dans toutes les grandes villes de France, sans résultat précis. Il y avait, bien sûr, une ou deux familles qui portaient ce nom-là, mais aucun de leurs membres ne correspondait de par son âge ou son physique au signalement de l’intéressé. Et ils possédaient tous un alibi. Enfin, il n’existait pas dans les archives judiciaires de Paul Alaric poursuivi, ou a fortiori inculpé pour attentat à la pudeur.
Pitt se demanda pourquoi Alaric avait menti sur ses origines.
Puis il se rappela qu’Alaric n’en avait jamais parlé. Tout le monde disait qu’il était français, mais lui-même n’avait rien dit du tout, et Pitt n’avait pas jugé utile de lui poser la question. Grâce Dilbridge avait probablement raison : Freddie l’avait accusé dans le seul but de détourner l’attention de ses propres amis. Quoi de plus facile que de charger l’unique étranger?
Pitt classa la réponse de Paris et retourna à ses investigations sur le terrain.
L’enquête se prolongea pendant de longues et suffocantes journées et, d’une question routinière à l’autre, Pitt dut progressivement se consacrer aux autres crimes. Le reste de Londres ne s’était pas subitement trouvé délivré des cambriolages, escroqueries et agressions, et il ne pouvait passer tout son temps sur une seule énigme, aussi tragique ou dangereuse fût-elle.
Lentement, la vie à Paragon Walk reprit son cours. Bien sûr, l’épreuve de Selena n’avait pas été oubliée. Les réactions qu’elle suscitait variaient. Curieusement, c’était Jessamyn qui se montrait la plus compatissante. Leur ancienne animosité semblait s’être totalement dissipée. Emily n’en revenait pas, non seulement parce qu’elles affichaient maintenant leur amitié, mais parce qu’on les sentait satisfaites, comme si chacune était convaincue d’avoir remporté une énorme victoire.
Jessamyn débordait de sollicitude pour la triste
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