Le Crime De Paragon Walk
jurez-le-moi !
— Pourquoi ?
— Parce que…
Elle déglutit avec effort. Les yeux immenses, elle était
secouée d’un tremblement.
— Je… je crois que c’était M. Alaric, mais… mais
je n’en suis pas sûre. Jurez-le, Emily ! Si vous l’accusez à tort, nous
courrons toutes les deux un terrible danger. Souvenez-vous de Fanny ! Moi,
je jurerai que je ne sais rien du tout.
8
On appela Pitt, bien sûr, et il partit sur-le-champ, dans le
même cab qui lui avait délivré le message. En arrivant à Paragon Walk, il
trouva Selena, vêtue d’une robe sobre d’Emily, assise sur le grand canapé du
salon. Elle avait repris ses esprits. Le visage en feu, ses mains blanches
nouées sur ses genoux, elle lui narra néanmoins sa mésaventure d’un ton
parfaitement calme.
Elle revenait d’une brève visite chez Grace Dilbridge, pressant
le pas pour rentrer avant la tombée de la nuit, quand elle fut attaquée
par-derrière par un homme d’une taille au-dessus de la moyenne et d’une force
phénoménale. Il la jeta sur l’herbe, à côté du parterre de roses, d’après ce qu’elle
avait cru remarquer. La suite était trop atroce… sensible comme il l’était, Pitt
n’allait certainement pas lui demander de la décrire ? Il suffisait de savoir
qu’elle avait été violentée. Par qui, elle n’en avait pas la moindre idée. Elle
n’avait pas vu son visage, et elle était incapable de fournir son signalement, outre
sa force herculéenne et la brutalité de son comportement bestial.
Il la questionna sur les détails qu’elle aurait pu noter
involontairement : ses habits, étaient-ils rugueux ou de belle texture, portait-il
une chemise sous sa veste, blanche ou de couleur sombre ? Avait-il les
mains calleuses ?
Elle réfléchit juste une fraction de seconde.
— Oh ! fit-elle, frémissant de surprise. Oui, vous
avez raison. Il était bien habillé. Ce devait être un gentleman. Je me souviens
de manchettes blanches. Et il avait les mains douces, mais…
Elle baissa les yeux.
— … d’une force inouïe !
Il poursuivit l’interrogatoire, mais elle n’avait rien d’autre
à lui révéler. Son agresseur n’avait pas prononcé un mot ; elle se tut
finalement, bouleversée, incapable de continuer.
Pitt dut capituler et se rabattre sur la routine de la
recherche d’indices. Au cours d’une longue et épuisante nuit, Forbes et lui
interrogèrent tous les hommes de Paragon Walk qu’ils furent obligés de tirer du
lit, furieux et effrayés. Comme la première fois, chacun put fournir un alibi
suffisamment plausible, mais sans la preuve formelle qu’il ne s’était pas
trouvé dehors pendant ces quelques instants fatidiques.
Afton Nash était dans son bureau, mais celui-ci donnant sur
le jardin, il aurait pu aisément se glisser à l’extérieur sans être vu. Jessamyn
Nash jouait du piano ; elle n’aurait su dire si Diggory était resté dans
la pièce toute la soirée. Freddie Dilbridge était seul dans son jardin d’hiver
qu’il envisageait de redécorer, expliqua-t-il. Grace n’était pas avec lui. Hallam
Cayley et Paul Alaric vivaient seuls. Unique consolation, George était allé en
ville, et il semblait hautement improbable qu’il eût regagné Paragon Walk en
douce.
Les domestiques furent tous questionnés, et leurs réponses, comparées.
Certains avaient été occupés à des activités qu’ils auraient préféré garder
secrètes : il y avait trois liaisons sentimentales distinctes et une
partie de cartes au cours de laquelle une forte somme d’argent avait changé de
mains. Il y aurait peut-être des congédiements dans la matinée ! Mais la
plupart d’entre eux soit avaient un alibi, soit s’étaient trouvés précisément
là où ils étaient censés être.
Pour finir, dans l’aube tiède et immobile, la gorge sèche et
les yeux rougis par le manque de sommeil, Pitt dut admettre qu’il n’avait pas
avancé d’un pouce.
Deux jours plus tard, il reçut enfin une réponse de Paris concernant
Paul Alaric. Debout au milieu du poste de police, il contempla la lettre, plus
désorienté que jamais. La police française n’avait relevé aucune trace de lui ;
elle s’excusait de ce retard, mais une demande de renseignements avait été
expédiée dans toutes les grandes villes de France, sans résultat précis. Il y
avait, bien sûr, une ou deux familles qui portaient ce nom-là, mais aucun de
leurs membres ne correspondait de par son âge ou son
Weitere Kostenlose Bücher