Le Dernier Caton
madame, dit-il sans se retourner, me prenant sans doute pour une folle.
Il frappa sur une petite fenêtre à la porte et elle s’ouvrit.
— Vous ne comprenez pas ! insistai-je en écartant les touristes qui essayaient de filmer la scène alors que l’échelle disparaissait par l’ouverture. On m’a dit de m’adresser à celui qui ouvre et personne ne ferme, ferme et personne n’ouvre.
L’homme demeura quelques secondes en suspens puis se retourna et me regarda fixement. Il m’observa comme un entomologiste étudierait un insecte, puis ne put s’empêcher de manifester sa surprise :
— Une femme !
— Je suis la première ?
— Non, avoua-t-il. Il y en a eu d’autres, mais pas avec moi.
— Alors, on peut parler ?
— Bien sûr, dit-il en pinçant sa moustache. Attendez-moi ici. Si cela ne vous ennuie pas, j’aimerais finir d’abord. J’en ai pour une demi-heure, pas plus.
Je le laissai poursuivre son travail et retournai voir Pierantonio, qui m’attendait, impatient.
— C’est lui ?
— Oui. Il m’a donné rendez-vous ici dans une demi-heure. Je suppose qu’il veut me voir seule.
— Bon, allons nous promener en attendant.
Si mon frère comptait reprendre le thème de Farag, cette demi-heure allait se révéler un supplice. Aussi, pour gagner du temps, je lui demandai de me prêter son portable et téléphonai au capitaine. Ce dernier se montra satisfait de la nouvelle mais inquiet également, car ni lui ni Farag ne pouvaient me rejoindre à temps, même en quittant tout de suite la Délégation. Il me donna alors une longue liste de questions à poser au gardien, et termina en les répétant comme un disque rayé. Avec quatre jours de retard sur notre planning, avoir enfin trouvé une piste aussi importante était vraiment comme une lumière au bout du tunnel. Maintenant nous pourrions résoudre l’épreuve de Jérusalem puis nous diriger vers Athènes aussitôt après.
De cette manière, en parlant longuement avec le capitaine, j’obtins que le temps s’écoulât sans laisser à mon frère l’occasion de me poser aucune question compromettante. Quand je lui rendis enfin son portable, il le reprit en souriant.
— Je suppose que tu penses que nous ne pouvons plus parler de Farag, me dit-il en me prenant le coude et en m’entraînant vers la petite ruelle qui menait à la Via Dolorosa.
— Exactement.
— Je ne veux que t’aider, Ottavia. Si tu as des soucis, tu peux compter sur moi.
— J’ai des soucis, Pierantonio, admis-je la tête baissée. Mais je suppose que tous les religieux traversent des moments de crise de ce genre. Nous ne sommes pas des êtres spéciaux et nous ne sommes pas à l’abri des sentiments humains. Est-ce que cela ne t’est jamais arrivé ?
— Eh bien…, murmura-t-il en détournant les yeux, si, c’est vrai, mais cela fait très longtemps et, Dieu merci, ma vocation a triomphé.
— J’espère qu’il en ira de même pour moi, Pierantonio. (J’aurais voulu l’embrasser mais nous n’étions pas à Palerme.) J’ai confiance en Dieu. S’il veut que je suive Son appel, Il m’aidera.
— Je prierai pour toi.
Nous étions arrivés à destination et le gardien des clés m’attendait devant les portes. Je m’approchai tout doucement et m’arrêtai à quelques pas de lui.
— Répétez-moi la phrase, s’il vous plaît, me demanda-t-il aimablement.
— On m’a dit : « Demande à celui qui a les clés ; celui qui ouvre et personne ne ferme ; ferme et personne n’ouvre. »
— Très bien. Maintenant, écoutez attentivement. Le message que j’ai pour vous est le suivant : « La septième et la neuvième. »
— La septième et la neuvième, répétai-je, déconcertée. Mais de quoi parlez-vous ?
— Je ne sais pas.
— Comment ça ?
Le petit homme haussa les épaules.
— Non, madame, je ne sais pas ce que cela signifie.
— Mais alors, quel rapport avez-vous avec les stavrophilakes ?
— Les qui ?
Il fronça les sourcils et passa la main sur son visage.
— Je ne vois pas de qui vous parlez. Je m’appelle Jacob Nusseiba. Muji Jacob Nusseiba. Les Nusseiba ont toujours été chargés d’ouvrir et de fermer chaque jour les portes de la basilique, et ce depuis l’an 637, quand le calife Omar nous confia cette charge. Quand il entra dans Jérusalem, ma famille faisait partie de son régiment. Pour éviter des conflits avec les chrétiens qui s’opposaient les uns aux autres, il
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