Le Dernier Caton
nous remit les clés, à nous. Depuis, le fils aîné de chaque nouvelle génération de Nusseiba est le gardien des clés. À un moment de l’Histoire, à cette tradition s’est jointe une autre, de caractère secret. Chaque père dit à son fils au moment de lui confier les clés : « Quand on te demande si tu es celui qui a les clés, celui qui ouvre et personne ne ferme ; ferme et personne n’ouvre, tu devras répondre "la septième et la neuvième". » Nous apprenons cette phrase et la répétons depuis des siècles.
De nouveau le sept et le neuf, les chiffres de Dante. Mais à quoi pouvaient-ils se référer cette fois ?
— Vous désirez autre chose ? Il se fait tard et…
Je secouai doucement la tête et regardai mon interlocuteur. Cet homme possédait un arbre généalogique plus ancien que certaines maisons royales européennes, et pourtant il avait tout d’un insignifiant garçon de café.
— Beaucoup de gens sont venus vous poser la question avant moi ? Je veux dire…
— Je comprends, je comprends, s’empressa-t-il de répondre. Mon père m’a remis les clés il y a dix ans, et depuis j’ai répété la phrase dix-neuf fois. Avec vous, cela fera vingt !
— Vingt !
— Mon père l’a dite soixante-sept fois. Et à cinq femmes.
Le capitaine m’avait demandé de poser des questions sur Abi-Ruj, mais le gardien des clés ne m’en laissa pas le temps.
— Je suis désolé, mais je dois vraiment partir. On m’attend chez moi et il est tard. J’espère avoir pu vous aider. Qu’Allah vous protège.
Et il disparut sur ces mots en s’éloignant rapidement. Il me laissa avec bon nombre de questions, bien plus que je n’en avais avant de lui parler.
Un bras avec un portable à la main se tendit devant moi.
— Tu veux prévenir tes compagnons ? me demanda Pierantonio.
— La septième et la neuvième ! Ce n’est pas possible, s’exclama le capitaine en marchant de long en large.
On aurait dit un fauve en cage. Cela faisait quatre jours qu’il était devant son ordinateur à essayer de trouver un document correspondant à la prière, et la seule chose qu’il avait obtenue, c’était rater le rendez-vous avec le gardien des clés et perdre le peu de patience qui lui restait en entendant l’énigmatique indication que ce dernier m’avait fournie.
— J’en suis totalement sûre.
— La septième et la neuvième…, répéta Farag, songeur. La septième épreuve et la neuvième, qui n’existe pas ? Le septième et le neuvième mots de la prière, les septième et neuvième strophes du cercle des coléreux, les Septième et Neuvième Symphonies de Beethoven ? Les septième et neuvième je ne sais quoi de quelque chose que l’on ne connaît pas ?
— Quelles sont les strophes qui correspondent, dans Dante ?
— Mais enfin, je vous ai dit que ce quatrième cercle ne contient rien d’intéressant à part la fumée ! brama le capitaine sans arrêter de faire les cent pas.
Farag alla chercher l’exemplaire de La Divine Comédie et commença à chercher le chant XVI. Le capitaine le regarda avec mépris.
— Personne ne m’écoute donc ? se plaignit-il.
— Voici la septième strophe, dit Farag.
Agnus Dei était leur exorde ;
elles avaient toutes même parole et même ton
si bien que tout semblait concorder entre elles.
— De quoi parle Dante ?
— Des âmes qui s’approchent de Virgile et de lui. Comme ils ne peuvent pas les voir venir, aveuglés par la fumée, ils devinent leur présence parce qu’ils les entendent chanter Agnus Dei.
— C’est la prière que nous disons à la messe quand le prêtre partage le pain : « Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde, aie pitié de nous. »
— Je vous avais bien dit que cela n’avait aucun rapport, répéta le capitaine.
Farag baissa de nouveau les yeux sur le livre et reprit :
— La neuvième strophe dit :
Qui es-tu, toi qui fends notre fumée,
et parle de nous comme si tu divisais
encore notre temps par calendes ?
— Les âmes sont surprises de trouver un vivant sur la corniche, dis-je. Rien d’intéressant.
— Non, en effet, conclut Farag à son tour.
Glauser-Röist lâcha un soupir impatient.
— Je le savais ! Ici, la seule chose importante, c’est la fumée, et la fumée, c’est cette maudite prière qui ne nous laisse rien voir.
— Quelles autres options as-tu mentionnées, Farag ?
— Quelles options ?
— Tu disais
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