Le Dernier Caton
que la clause de confidentialité sur tout ce qui concernait les Archives secrètes et la Bibliothèque demeurerait valide jusqu’à la fin de mes jours. Il me dit aussi qu’il avait été très satisfait de mes services, et qu’il espérait sincèrement que je trouverais rapidement un autre poste en accord avec mes capacités et mes connaissances. Enfin, en posant lourdement sa main sur la table, il ajouta que je serais durement sanctionnée et même excommuniée si j’avais le malheur de proférer le moindre commentaire sur l’affaire de l’Éthiopien.
Il me fit ses adieux sur le seuil de sa porte en me serrant fortement les mains alors que le secrétaire, Baker, m’attendait patiemment avec un carton entre les mains. « Vos affaires », me dit-il d’un ton méprisant.
Je crois que ce fut à cet instant que je compris vraiment : j’étais devenue une paria, quelqu’un que l’on ne voulait plus voir au Vatican. On m’avait condamnée à l’ostracisme, et je devais quitter la ville.
— Je dois vous demander de me remettre votre badge et votre clé magnétique, reprit Baker en me passant le carton scellé avec du ruban adhésif.
Mais ce ne fut pas tout, il y eut pis encore. Deux jours plus tard, la directrice de mon ordre réclamait ma présence dans son bureau. Bien entendu, ce ne fut pas elle qui me reçut, elle était trop occupée, mais la sous-directrice, sœur Sarolli. Elle me fit savoir que je devais quitter l’appartement – et la communauté – de la Piazza delle Vaschette puisque j’allais rejoindre sous peu notre couvent de la province de Connaught, en Irlande, où je devrais m’occuper des archives et bibliothèques de plusieurs anciens monastères de la région. Là je trouverais, ajouta sœur Sarolli, la paix spirituelle dont j’avais besoin. Je devais me présenter à Connaught la semaine prochaine, entre le lundi 27 mars et le vendredi 31. Pour quand désirais-je le billet ? Je souhaitais peut-être passer par la Sicile pour aller voir ma famille… Je refusai son offre d’un mouvement de la tête, si démoralisée que j’étais incapable de proférer la moindre parole.
Je n’avais pas la moindre idée sur la façon d’annoncer la nouvelle à ma mère. Cela me faisait tant de peine. Alors qu’elle était si fière de sa fille, elle allait beaucoup souffrir, et je me sentais coupable. Que diraient Pierantonio et Giacoma ? La seule chose positive dans cet exil, c’était que j’allais retrouver ma sœur Lucia à Londres, et qu’elle m’aiderait certainement à surmonter cette épreuve, et mon échec. Parce qu’il s’agissait bien d’un échec. J’avais déshonoré ma famille. On ne m’aimerait pas moins parce que je quittais le Vatican pour aller travailler dans un lieu lointain et perdu de l’Irlande, mais ils ne me regarderaient plus de la même manière, surtout ma mère. Ma pauvre mère qui se vantait tant des succès de Pierantonio et des miens…
Ce soir-là, un vendredi de carême, je me rendis avec Ferma et Margherita à la basilique de Saint-Jean-de-Latran pour commémorer le chemin de croix et participer à la célébration pénitentielle. Entre ces murs chargés d’histoire, je me sentis rapetisser. Je dis à Dieu que j’acceptais mon châtiment pour mon très grand péché d’orgueil. Je l’avais bien mérité. Je m’étais sentie investie d’un pouvoir supérieur pour avoir obtenu habilement quelque chose qui m’avait été caché et, investie de ce pouvoir, j’avais proclamé ma réussite. Maintenant, courbée et vaincue, je demandais humblement pardon et me repentais de ce que j’avais fait, même si ce repentir tardif ne pouvait changer ma punition. Je craignais Dieu et considérais ce chemin de croix comme une nouvelle preuve de la miséricorde divine, qui me permettait de partager avec Jésus les souffrances du Calvaire.
Et comme si tout cela ne suffisait pas, comme pour faire écho à la douleur qui me torturait intérieurement, l’Etna, ce volcan que les Siciliens regardaient toujours avec crainte et anxiété parce qu’il leur appartenait et qu’ils le connaissaient bien, entra dans une éruption spectaculaire : un mur de lave descendit sur ses flancs jusqu’à l’aube tandis que sa bouche crachait du feu et des cendres à 3 200 mètres d’altitude. Palerme, heureusement, était assez loin du volcan mais cela n’empêcha pas la ville de souffrir de certaines conséquences de ce réveil soudain : secousses
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