Le Dernier Caton
d’éboulement me traversèrent l’esprit, mais je les chassai, le capitaine ayant déjà ouvert la porte grâce au trousseau de clés que lui avait fourni le sacristain.
Contrairement à ce que l’on prétend, les catacombes ne servirent pas de refuge aux chrétiens persécutés. Tel n’était pas le but de leur édification. Elles ne furent pas construites comme des cachettes, pour la bonne raison que ces persécutions furent très brèves, et tout à fait circonscrites dans le temps. Au milieu du II e siècle, les premiers chrétiens commencèrent à acquérir des terrains pour enterrer leurs morts. Ils étaient opposés à la coutume païenne d’incinération car ils croyaient à la résurrection des corps au jour du Jugement dernier. D’ailleurs, ils n’appelaient pas catacombes ces cimetières souterrains – ce mot grec signifiant « cavité » se popularisa au IX e siècle seulement –, mais koimêtêrion, l’équivalent du latin dormitorium , « chambre à coucher ». De ce mot procède le terme « cimetière », du latin cœmeterium. Les chrétiens pensaient qu’ils dormiraient simplement jusqu’au jour de la résurrection de la chair. Comme ils avaient besoin de lieux de plus en plus grands, les galeries s’agrandirent vers le bas et sur les côtés pour se convertir en de véritables labyrinthes qui pouvaient faire plusieurs kilomètres de longueur.
— Allez, Ottavia, m’encouragea Farag de l’autre côté de la porte en voyant que je n’avais pas la moindre intention d’entrer.
Une ampoule nue suspendue au plafond de la grotte offrait une faible lumière et couvrait d’ombres une table, une chaise et quelques outils disposés près de l’entrée sous une épaisse couche de poussière. Heureusement, le capitaine avait pensé à emporter dans son sac une puissante torche électrique qui éclaira l’endroit. Quelques marches creusées dans la pierre descendaient vers les entrailles de la terre. Glauser-Röist s’y engagea d’un pas sûr tandis que Farag me laissait passer et fermait la marche. Le long des murs, de nombreux textes, gravés avec une pointe de fer, rappelaient les morts : Cornelius cujus dies inluxit : « Cornélius, dont le jour se leva » ; Tauta o bios : « Telle est la vie » ; Eirene ecoimete : « Irène s’endormit »… À un endroit plat où l’escalier tournait à gauche, plusieurs stèles étaient empilées, de celles qui fermaient les niches. Certaines n’étaient plus que de simples fragments. Nous parvînmes enfin à la dernière marche pour nous retrouver dans un petit sanctuaire de forme rectangulaire, décoré de magnifiques fresques qui par leur aspect pouvaient dater du VIII e ou IX e siècle. Le capitaine les éclaira, et nous contemplâmes, fascinés, la représentation du supplice des quarante martyrs de Sébastia. Selon la légende, ces jeunes gens appartenaient à la XII e légion, la « Légion foudroyée », qui exerçait à Sébastia, en Arménie, sous l’empereur Lucien. Lorsque ce dernier donna l’ordre à tous ses soldats d’offrir des sacrifices aux dieux pour le bien de l’Empire, quarante légionnaires refusèrent parce qu’ils étaient chrétiens. Ils furent condamnés à mourir de froid, nus, suspendus par une corde au-dessus d’un étang gelé.
Il était admirable que cette peinture posée directement sur l’enduit du mur se soit maintenue dans des conditions presque parfaites au fil des siècles, alors que tant d’autres œuvres postérieures, réalisées avec plus de moyens techniques, offraient aujourd’hui un aspect lamentable.
— Éloignez votre torche, Kaspar, supplia Farag, vous pourriez les abîmer à jamais.
— Je suis désolé, s’excusa le capitaine en dirigeant aussitôt le rayon vers le sol. Vous avez raison.
— Et maintenant, on fait quoi ? Quel est le plan ? demandai-je.
— On continue, c’est tout.
De l’autre côté du sanctuaire, un nouvel espace marquait le début d’un nouveau couloir. Nous le suivîmes en file indienne, silencieux, laissant à droite et à gauche d’autres galeries dans lesquelles on distinguait des files interminables de tombes dans les murs. On n’entendait que nos pas, et la sensation était asphyxiante en dépit des ouvertures au plafond qui permettaient la ventilation. Au bout du tunnel, un nouvel escalier, fermé par une chaîne, avec un écriteau interdisant le passage que le capitaine ignora, nous conduisit au deuxième sous-sol
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