Le Dernier Caton
Nous trouvâmes là une caisse de bois remplie de torches éteintes, et nous en tirâmes la conclusion que ce n’était pas bon signe.
L’une des solutions était peut-être de soulever ces énormes blocs de pierre, puisque les orgueilleux punis avaient reçu ce châtiment précisément, mais la tâche était impossible ; ces rochers devaient peser environ le triple de notre poids à chacun. Nous étions donc piégés et, si nous ne trouvions pas rapidement la solution, nous allions bientôt servir de nourriture aux vers.
Mon mal de tête, qui avait disparu pendant quelques heures, revint plus fort qu’avant. Je savais qu’il était dû au manque de sommeil. Je n’avais même pas la force de bâiller à l’inverse de Farag qui ouvrait démesurément la bouche, et de plus en plus fréquemment.
Il faisait froid dans l’église, nous réunîmes donc tous nos flambeaux dans un des oratoires en les plaçant sur le sol pour former une espèce de feu de joie. Cela chauffa suffisamment ce petit coin pour nous permettre de survivre à la nuit. Être entourée de crânes ne m’aida pas vraiment à trouver le sommeil…
Farag et le capitaine se lancèrent dans une discussion sur l’hypothétique nature de l’épreuve que nous devions réussir et qui, en fait, revenait à ouvrir les vannes de pierre du bassin. Le problème, c’était de quelle manière, et ils n’étaient pas d’accord sur la méthode. Je me souviens peu de cette conversation, car je somnolais en flottant dans une sorte d’espace éthéré illuminé par le feu, environnée de crânes qui chuchotaient. Car les crânes parlaient, à moins que ce ne fût dans mon rêve. C’était le cas, évidemment, mais j’avais vraiment l’impression de les entendre. La dernière chose dont je me souviens, avant de tomber dans un sommeil profond, c’est que quelqu’un m’aida à m’allonger et plaça quelque chose de mou sous ma tête. J’entrouvris les yeux (je ne devais pas bénéficier d’un repos très paisible) et aperçus Farag, endormi à côté de moi, et le capitaine, totalement absorbé dans sa lecture de Dante. Peu de temps avait dû passer avant qu’une exclamation ne me réveillât tout à fait. Elle fut suivie d’une autre, et je me redressai en sursaut pour découvrir le Roc debout, qui levait les bras en l’air tel un héros triomphant.
— J’ai trouvé ! criait-il.
— Que se passe-t-il ? demanda Farag d’une voix somnolente. Quelle heure est-il ?
— Levez-vous, professeur, debout ! J’ai besoin de vous ! J’ai trouvé quelque chose.
Je regardai ma montre, il était quatre heures du matin.
— Mon Dieu, est-ce qu’on pourra jamais avoir six ou huit heures de sommeil continu ? gémis-je.
— Écoutez-moi attentivement, cria le capitaine : Vedea colui che fu nobil creato… Vedea Briareo fitto dal telo… Vedea Pallade et Marte armati ancora… Vedea Nembrot a pié del grand lavoro… Alors qu’en dites-vous ?
— Ce sont les premiers vers des tercets qui décrivent les reliefs, non ? dit Farag d’un air d’incompréhension totale.
— Mais ce n’est pas fini, continua Glauser-Röist. Écoutez : O Niobè, con che occhi dolenti… O Saül, come in su la propria spada… O folle Aragne… O Roboam, gia non par che minacci…
— Que se passe-t-il, capitaine ? Farag ? Je ne comprends rien.
— Moi non plus, mais laissons-le finir.
— Et enfin, dit-il en agitant le livre en l’air puis en le regardant de nouveau : Mostrava ancor lo duro pavimento… Mostrava la ruina… Mostrava come in rotta si fuggiro… Et attention ! maintenant voilà le plus important, les vers 61 à 63 du chant X : Vedeva Troia in cenere e in caverne ; O Illion como te basso e vile mostrava il segno che l í si discerne.
— Ça y est, j’ai compris, ce sont des strophes acrostiches ! s’écria Boswell en s’emparant du livre. Quatre vers qui commencent par Vedeva , quatre avec « O » et quatre avec Mostrava.
— Et le dernier tercet, celui de Troie, donne la clé.
J’avais très mal à la tête, mais je compris ce qui se passait ; je découvris même avant eux la relation de ces strophes acrostiches avec le mot mystérieux que Farag avait trouvé sur la dalle oscillante et qui nous avait conduits tous les trois à nous placer dessus : « VOM ».
— Que signifie « Vom » ? demanda le capitaine. Est-ce que cela a un sens ?
— Il en a un, Kaspar, et d’ailleurs cela me fait penser à notre
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