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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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être fragile tient le royaume en suspens. Louis s’interdit d’y penser, sans y parvenir, bien sûr, et pour donner le change, se montre confiant, n’hésite pas à mentir : « Charles ne m’inquiète pas. À son âge, j’étais moins vaillant que lui. » Plutôt que de laisser deviner son angoisse, il préfère passer pour un père insensible, un monarque sans sentiment, bien qu’il prétende à tout venant se moquer de l’opinion, ce qui n’est pas exact, car elle appartient à ses préoccupations utiles, à son métier de roi. Il la consulte comme un miroir, même s’il lui arrive de dire : « Je ne me décide jamais sur un reflet et ne prends des avis que de moi. »
    Ce soir, à la lumière des chandelles, il a convoqué en salle du Conseil Anne et Pierre de Beaujeu, ainsi que Philippe de Commynes et les quatre « familiers » dont il se méfie depuis leur conduite suspecte aux Forges, il y a deux mois : Jacques Coitier, le maréchal de Gié Pierre de Rohan, Charles d’Amboise et son fils Louis, évêque d’Albi : « Se méfier n’empêche pas le jeu et c’en est un que de mettre à l’épreuve des amis douteux. »
    Il a ouvert la séance d’une voix sourde et les yeux mi-clos en rendant hommage à son oncle René d’Anjou, disparu en juillet dernier, puis, relevant la tête, a rappelé que la Provence serait réunie à la Couronne à la mort de Charles II du Maine. Il a tout de suite précisé que celui-ci, malade, ne quittait plus son lit pour ajouter, haussant le ton, que ce qui intéressait la France, c’était la possession de Marseille et la mainmise sur le commerce levantin. Il devenait indispensable, selon lui, de développer notre marine marchande et de tenir en maître la Méditerranée.
    Certes, il n’a pas rassemblé sept conseillers autour de lui pour leur parler de Marseille. Il a certainement autre chose à leur annoncer. Mais ce qu’il veut pour l’instant, après la maladie du dauphin ce mois-ci, et l’accident qui l’a marqué lui-même si durement, la première semaine de mars, c’est imposer sa force. Et déjà la fermeté de sa voix, l’autorité acide de son regard étonnent chacun. Commynes qui, hier encore, se demandait s’il n’avait pas fait le mauvais choix en s’alliant à une famille sans avenir, se trouve à présent subjugué : « Quel homme ! Il nous domine tous, gouverne son destin et le nôtre. Il me tient à sa botte comme un de ses lévriers. »
    Louis aborde maintenant la question qu’il juge essentielle et qu’il étudie depuis des années : la réforme de l’infanterie et l’installation à Pont-de-l’Arche d’un camp retranché. Il rappelle, à ce propos, des décisions et des faits que ses conseillers connaissent pour y avoir participé : les énormes commandes passées auprès des marchands des principales villes du royaume. Avec une jubilation contenue, il cite de mémoire une série impressionnante de chiffres : 14 500 hallebardes, 5 500 piques, 18 500 dagues… et voilà qu’il s’arrête, soudain, pour fixer Pierre de Rohan et lui demander à brûle-pourpoint ce qu’il en pense, s’il estime ces chiffres exacts.
    — Oh oui, Sire, répond le maréchal de Gié, tout rougissant.
    Il voudrait ajouter un compliment, une précision, dire, par exemple : « Sire, votre mémoire exceptionnelle n’a pas oublié que nous avons prévu 700 tentes et 700 chariots », mais l’émotion lui serre la gorge. Il ne trouve pas ses mots.
    Déjà, le roi ne le regarde plus. Tourné vers Anne et Pierre de Beaujeu, puis vers Commynes, il répète ce que l’on sait de lui : qu’il a toujours aimé la paix et détesté la guerre, mais il vient d’apprendre que le nouveau roi d’Angleterre, Richard III, envisagerait une reprise des hostilités en accord avec le duc de Bretagne.
    — S’il commet cette imprudence, conclut-il, il tombera dans les fossés du Pont-de-l’Arche et finira sous nos piques.
    Il écoute d’un air sérieux les murmures de l’assistance, puis, estimant qu’il a suffisamment parlé et qu’il doit éviter de montrer la fatigue qui l’envahit, il invite chacun à se retirer.
    Une fois seul, il regarde trembler sa main droite qu’il avait réussi jusque-là à cacher sous la table. Avec la gauche, il retient sa tête qui se penche, menace de tomber sur le bois. À bout de forces, il maudit la

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