Le Dernier mot d'un roi
éviter un courant d’air, je l’ai vu se précipiter sur une fenêtre et la refermer.
— Merci, Philippe. Je n’ai plus besoin de toi.
En sortant, Commynes tient toujours son bonnet à la main. Il est à la fois amer, soulagé et flatté : amer d’avoir été congédié comme un domestique, soulagé d’avoir tiré son épingle du jeu, flatté parce que le roi l’a reçu dans son cabinet de travail où personne n’est autorisé à entrer. Il a plaisir à rencontrer Sauveterre dans la galerie. Bâti comme Goliath, ce valet de grande allure au regard angélique l’a toujours distrait des intrigues et des jalousies de couloir.
— Viens ! dit-il. J’ai besoin de changer de vêtements.
Plutôt que de l’accompagner dans sa chambre, Sauveterre le conduit à la salle aménagée pour les hôtes de passage et les compagnons de chasse. Il aide Philippe à se déshabiller, le fait asseoir et lui ôte ses bottes boueuses aussi facilement que s’il cueillait une fleur. Il lui apporte des vêtements secs ainsi qu’une serviette, un baquet et une cruche d’eau. Il le regarde faire sa toilette et se défend de lui poser la moindre question. Philippe, qui éprouve la nécessité de se détendre et de parler, s’impatiente d’un tel laconisme.
— Tu ne veux pas savoir d’où je viens ? dit-il en se rhabillant.
— Je le sais, monsieur d’Argenton.
Commynes goûte ce titre qu’il doit à Louis XI et qu’il préfère à l’ancien « seigneur de Renescure », lequel date de son père et de ses aventures avec le Téméraire. Diplomate avant tout, philosophe à l’occasion, homme d’action et de pouvoir dans la mesure du possible, il se veut moderne et n’aime pas regarder en arrière. En ce moment, il sourit en observant Sauveterre dont l’innocence, alliée à une corpulence exceptionnelle, lui paraît suspecte et l’amuse.
— Le dauphin va mieux, murmure-t-il et, comme le valet qui a bien entendu ne manifeste aucune réaction, il ajoute un ton plus haut : Ne me dis pas que tu le sais.
— Monsieur, je l’apprends et j’en suis heureux.
— J’ai vu Jean Bourré. Tu le connais ?
— Oui, Monsieur. Je connais aussi M me de Tournel.
— Ah ! Comment cela ?
— Je voyage beaucoup, Monsieur. Le roi m’envoie de tous les côtés.
— Tu espionnes, c’est ça ?
— Je m’informe, Monsieur, afin de renseigner le roi.
— Où es-tu allé, ces jours-ci ? À Blois ?
— À Blois, oui. Puis à Lignières où le duc d’Orléans a rejoint la duchesse Jeanne. Désormais, il partage sa chambre.
Commynes est ébahi. Il réussit à ne pas le montrer. La nouvelle annoncée l’étonne moins que l’étrange placidité avec laquelle Sauveterre débite de pareilles indiscrétions : « Un bien curieux valet, se dit-il. Ma foi, je le découvre. Dans les coulisses du royaume, on s’instruit chaque jour. »
— Le roi a dû s’en réjouir, reprend-il sans ironie perceptible. Qu’a-t-il dit ?
— Que le petit duc devenait prudent et qu’il fallait se méfier.
— Il a raison.
— Comme toujours, Monsieur.
— Oui, comme toujours.
Un silence ponctue cette réplique qui n’en est pas une. Les deux hommes s’étudient du regard, se comprennent ou font semblant. Sauveterre adresse un coup d’œil à la fenêtre où décline la lumière du jour. Il doit maintenant s’occuper des lévriers du roi, notamment de Tison. Il demande la permission de se retirer. Commynes la lui donne volontiers. Il a besoin de se retrouver seul et de réfléchir. De son bref séjour à Amboise, il garde un souvenir anxieux, malgré le dévouement de Jean Bourré et l’obligeance de M me de Tournel. Cela faisait un an qu’il n’avait pas revu le dauphin. L’enfant n’a pas grandi. On dirait même que sa nature chétive, maladive, s’affirme avec le temps. C’est du moins ce que pense Commynes. Il ne voudrait pas s’allier à une famille sans avenir.
Louis XI ne parle jamais de ses soucis, ni ne leur parle. Il ne les écoute pas, non plus. Pour les maîtriser, il travaille, s’enfonce tête baissée dans les affaires où sa lucidité s’aiguise au lieu de s’égarer. Un seul résiste et le ronge : le souci que lui donne son fils. Le monde qu’il a bâti à force de patience, de malice et d’énergie compte désormais sur cet enfant qui grandit mal. Oui, cet
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