Le Dernier mot d'un roi
chef qui ait la vie devant soi. Le temps travaille pour moi. J’attendrai mon heure. Louis n’en a plus pour longtemps. Et Charles, son fils, ne lui survivra pas. Un avorton qui a peur de son ombre et que la brise enrhume. »
Faraude s’engouffre dans la forêt. Au passage, sa tête arrache des feuilles qui cinglent les joues du cavalier. Il aimerait crier de joie, répéter ce chant de guerre : « Charles ne lui survivra pas. » Il préfère ricaner mentalement : « Pour se tenir en selle, Monsieur le Dauphin a besoin de deux domestiques. Il s’accroche à la crinière et l’on dirait un petit singe. Qui le voudrait pour roi ? » Ces sarcasmes idolâtres le surexcitent et l’effrayent un peu, comme si quelqu’un pouvait les entendre et les rapporter à Louis XI. Il se veut raisonnable et, pour modérer son ardeur, il serre dans l’étau de ses cuisses les flancs de sa jument : « Faraude, ma fille, prudence avant tout. Patience ! Ne rien montrer. Se courber devant le vieillard, s’aplatir. Les jeux sont faits, pour l’instant. Anne et Pierre candidats favoris à la régence. Sire, vous ne sauriez mieux choisir. » Il éclate de rire à l’idée de mentir, puis un souvenir le distrait sérieusement : Marie de Clèves, sa mère, souhaitait naguère le marier à Anne avant que celle-ci n’épousât Pierre de Beaujeu sur ordre du roi. Louis d’Orléans n’a pas oublié son regard mi-grave, mi-coquin, ni les sourires qu’ils échangeaient au temps où ils étaient libres tous les deux, lui garçon, elle fille : « Dommage ! Nous aurions fait de grandes choses ensemble. » Il se penche sur la jument comme pour lui parler à l’oreille, caresse son encolure poissée d’écume et pèse sur le mors pour commander le trot. « Dommage ! » répète-t-il à mi-voix.
Commynes tient à la main son bonnet gorgé de pluie. Il n’ose pas le poser sur une chaise. Le roi paraît si pressé et le regarde d’une telle manière. Il ne lui donne pas le temps d’essuyer son visage ruisselant, ni d’ôter son manteau dont l’eau dégouline sur la boue de ses bottes et sur les carreaux.
— Alors ? demande-t-il.
— Monsieur le Dauphin se porte bien, Sire.
— Attention, Philippe ! Sous prétexte de me rassurer, il ne faut pas me raconter n’importe quoi. Comment va-t-il ?
— Mieux, Sire. Beaucoup mieux. C’est l’avis d’Angelo Cato qui ne quitte pas son chevet.
— Son chevet ? Il ne se lève donc pas ?
Louis n’a pu retenir sa voix qui a déraillé jusqu’au fausset. Commynes se reproche d’avoir parlé trop vite. Quand il s’agit du dauphin, la prudence s’impose. Il faut mesurer chaque mot et se tenir sur ses gardes. Aussi répond-il lentement, en s’arrêtant entre les phrases comme sur la pesée d’une sentence :
— Il s’est levé ce matin et s’est promené dans le jardin. J’ai même joué à la balle avec lui. Alors, il faisait beau. C’est en venant ici, dans l’après-midi, que l’orage m’a rattrapé. Un déluge, Sire. Aveuglé, mon cheval bronchait, perdait la route.
Louis se moque bien de l’orage en ce moment, du voyage de Commynes et des gouttes qui roulent encore sur son nez. Il veut des précisions, des certitudes :
— C’est l’avis de Cato, dis-tu ?
— Oui, Sire. Il pourra vous le confirmer.
— Quand ?
— Dans quelques jours. Demain, peut-être. Il compte venir au Plessis. Il considère que la fièvre a cessé et que Monsieur le Dauphin n’a plus de raison de tousser.
— Et Bourré, tu l’as vu ?
— Bien sûr.
— Que penses-tu de lui ?
— Rien n’échappe à son dévouement. Rien, malgré son âge.
— Il est vieux. Est-ce une faute ?
— Non, Sire. Au contraire.
— Au contraire, pourquoi ?
— À son âge, on sait prévoir l’avenir immédiat. On sait le lire.
Louis apprécie l’intelligence habile de Philippe sans approuver entièrement sa réponse. Mais, pour l’instant, les idées générales le laissent indifférent. Seule lui importe la santé de Charles. Le dauphin aura onze ans dans un mois, mais il en paraît huit. Ses membres sont frêles et sa poitrine étroite. Il s’essouffle à la moindre course et se tient voûté ensuite.
— Bourré le surveille bien, n’est-ce pas ? reprend le roi.
— Oui, Sire. Il n’a d’yeux que pour lui. Hier, pour lui
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