Le Dernier mot d'un roi
voix se durcit quand il précise, sans les nommer, que ces princes dévoyés peuvent être des parents, oncles ou cousins et « du même sang que le nôtre, ce qui nous fait rougir de honte ». Puis il tousse, reprend son souffle et ajoute :
— Aussi, je vous demande d’écouter et de suivre à l’avenir les conseils des personnes qui ont déjà prouvé leur loyauté envers nous… à commencer par celles qui m’entourent, assises à cette table.
Un murmure satisfait lui répond. Il feint de n’avoir rien entendu et fait mine de réfléchir à la phrase qu’il va dire, préparée de longue date. Il serre de ses dix doigts les bras du fauteuil, appuie avec un reste d’énergie la nuque contre le dossier, avale un filet d’air et se décide :
— Ne commettez pas, mon fils, l’erreur que j’ai commise, naguère, en renvoyant les conseillers de mon père. Cette conduite ne m’a valu que déconvenues et dommages.
C’est bien la première fois que le roi de France bat sa coulpe en public. Anne, surprise, troublée, émerveillée, se retient de marquer son approbation par un sourire : « Quel courage dans son état ! Il nous étonnera jusqu’au bout. » En privé, elle lui prendrait la main. Non, ce serait indécent.
Pour l’instant, Louis ne s’intéresse pas à elle. Il quête le regard de Charles, le trouve et ne s’y attache pas : pour n’avoir rencontré que des prunelles ordinaires sans intelligence ni flamme. Afin de ne pas céder au découragement qu’il méprise, à la lassitude qui lui donne envie de s’allonger dans un lit, de disparaître sous les draps, il parle, à présent, comme s’il s’adressait à un fils idéal :
— Charles, vous devrez apprendre la guerre, en connaître la science, les lois, les artifices, les ruses et les pièges, chaque fois qu’on ne peut l’éviter. Car votre premier devoir sera de garantir la paix. La guerre n’a jamais rapporté un denier à personne. Enfin, mon fils, avec l’aide de Dieu, n’oubliez jamais d’aimer vos sujets, si vous tenez à ce qu’ils vous aiment.
Il ferme les yeux, puis les rouvre, épuisé par l’effort d’avoir tenu la tête droite, content de sa voix qui ne l’a pas trahi, de son souffle qui n’a pas démérité. On n’attend plus que la réaction du dauphin qui, de son côté, compte sur l’aide de son père, souhaite une question. Appréhendant son désarroi et pressé d’en finir, le roi la pose :
— Eh bien, mon fils, qu’avez-vous à répondre à ces conseils et ces remontrances ?
L’enfant, qui à douze ans en paraît dix, redresse la taille avec un tel élan, une telle volonté de plaire qu’on pourrait imaginer qu’il se tient sur la pointe des pieds. Après avoir heurté, écorné la première syllabe, il prononce d’une voix ferme, presque virile, la phrase que Jean Bourré lui a fait répéter en secret et apprendre par cœur :
— Monsieur, avec le secours de Notre Seigneur, j’obéirai à tout ce que vous venez de me confier et, du meilleur de moi, j’accomplirai vos espérances pour l’honneur et le bonheur du royaume de France.
Maintenant, Louis XI aurait du mal à cacher son émotion. Ses lèvres tremblent. Il les mord. Même si la réponse du dauphin n’a que la valeur d’une récitation, l’enfant l’a bien prononcée et son visage blême, tendu par la performance qu’il vient de réussir, ne manque pas d’allure. Le roi le regarde avec gratitude et dans l’assemblée personne ne remarque que sa voix part en fausset :
— À présent, puisque nous sommes d’accord, je vous demande de jurer.
Charles lève la main, l’étend dans l’air comme au-dessus d’un Livre saint.
— Devant Dieu, je le jure, dit-il.
Enfermés dans des cages suspendues entre les fenêtres, perroquets, cacatoès, toucans, aigrettes, mainates et autres oiseaux d’Afrique s’ébattent contre les grilles, caquettent, piaulent, piaillent, sifflent, échauffent l’air de la galerie et les oreilles de Louis d’Orléans. Un petit singe ébouriffé, relié au mur par une chaîne assez longue pour lui permettre des cabrioles, mordille la chaussure du duc qui le repousse du pied distraitement et regarde à travers la vitre une pouliche que bouchonne un valet. Il ne s’ennuie pas. La pensée de se trouver là lui défend de perdre patience. C’est la première fois qu’on
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