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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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duc.
    — Et qu’a-t-il répondu ?
    — Rien. Il m’a promis de réfléchir.
    — Vous lui avez dit qu’il devait se rendre à Liège pour châtier les insurgés, autrement dit punir ces hommes qu’il avait encouragés lui-même à la révolte ?
    — Oui, mais il était déjà averti.
    Commynes hésite avant de poursuivre. Il craint de se perdre dans les nuances et d’être mal entendu, puis se décide tout à trac :
    — Il acceptait l’humiliation, se résignait à perdre la partie, sachant qu’il gagnerait la prochaine, qui serait définitive. Jamais jusqu’alors je n’avais rencontré un homme doté d’une confiance aussi tenace. On avait le sentiment qu’il pouvait douter de lui-même sur le moment mais jamais de son destin et que, de toute manière, le temps travaillait pour lui… Maintenant, nous devrions rentrer à l’hôtel pour nous réchauffer.
    Sur le chemin du retour, c’est l’aumônier qui se confie :
    — Moi pour rallier le roi, quatre ans après vous, j’ai attendu la défaite et la maladie de Charles de Bourgogne.
    Il raconte comment le duc, mortifié d’avoir été battu à Morat, s’abîmait dans la mélancolie :
    — Quand son esprit flambait de colère, il ne buvait, sur mes conseils, que de la tisane et ne goûtait que des conserves de roses. Lorsque l’angoisse et la honte le glaçaient, il se réchauffait avec des aliments épicés. Il laissait pousser sa barbe en désordre et devenait laid.
    En vue de l’hôtel, il retient Philippe par le bras et ajoute à mi-voix :
    — Toute frénésie d’ambition ne vaut rien pour un prince, encore moins pour un roi. Louis XI le sait fort bien. Nous avons de la chance d’avoir un pareil maître.

10
    Anne de Beaujeu a constaté à ses dépens que le caractère, l’identité et le destin d’une femme viennent de sa réputation. Une fois pour toutes, on l’a jugée froide, autoritaire, calculatrice, dominée exclusivement par la volonté et la raison. Ce verdict a pris la consistance d’un ordre et, pour ne contrarier personne, elle a fini par lui obéir, témoignant ainsi d’une ironie que tout le monde ignore, à l’exception de Pierre, son mari. Ce que les gens ne savent pas ou se moquent d’apprendre, c’est qu’elle est sensible, vulnérable, avide de tendresse et de plaisir autant que les autres filles. Seulement, elle a horreur de se donner en spectacle, de jouer avec les yeux, avec les lèvres, de sourire au moindre prétexte, de rougir ou de battre des cils. Dès l’aube, elle se réfugie derrière un visage qui garde une immobilité de principe, un front qui se dégage des cheveux et donne l’illusion de réfléchir, alors qu’il lui arrive de rêver à des sottises, à des folies ; ainsi, elle aimerait rire au nez de Jacques Coitier quand il se montre sentencieux, ou le gifler à toute volée lorsqu’il se permet de réprimander le roi sous un prétexte médical. Hélas, elle n’a pas droit au caprice. La nature l’a voulue responsable. À ce titre, ses devoirs n’ont pas de limite. Sans oser le dire à son confesseur, ni même se l’avouer, elle a le sentiment inné, instinctif, absurde, d’être responsable de son père. Si on l’apprenait, on en rirait : « Vous vous donnez trop d’importance, ma fille. Vous n’êtes qu’une enfant. Vous ne comptez pour rien dans l’État. Le roi a besoin de s’appuyer sur des épaules d’homme. » Justement, ce sont ces épaules qui manquent. Les conseillers de Louis XI se soucient de l’avenir politique, mais s’écartent du réel quotidien, n’envisagent le présent et ses évidences qu’à travers des idées de routine qui les rassurent. Depuis le premier malaise du souverain et la perte de connaissance qui a suivi, on s’est habitué à le voir mourir et personne ne croit plus à son agonie, même Pierre qui, par malice ou par défi, pour railler gentiment la religion et le bon sens, le déclare « immortel ». Anne voudrait bien s’évader comme eux dans un optimisme fallacieux, mais sa conscience s’y refuse. Une lucidité tenace l’oblige à constater que son père dépérit chaque jour, ne maîtrise qu’à force d’orgueil et de courage des souffrances qui l’épuisent. La nuit, il tousse, perd le souffle et ne dort que le buste relevé par des coussins, réveillé sans cesse par des démangeaisons qui enflamment sa

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