Le Dernier mot d'un roi
l’invite au Plessis et qu’il pénètre dans ce château dont tout le monde parle et que peu de gens connaissent. Passé le pont-levis, il a dû se séparer des six cavaliers qui l’escortaient et que des gardes ont mis à l’ombre sous surveillance. Un officier armé l’a conduit jusqu’à la galerie et l’a quitté sur une virevolte après lui avoir conseillé d’attendre. Donc, il attend. Hier, Sauveterre ne s’est arrêté à Blois que quelques minutes, le temps de le prévenir que Sa Majesté souhaitait le voir à midi, le lendemain. Le duc a voulu savoir s’il devait venir avec Jeanne, sa femme, et Sauveterre a répondu non de la tête avant de préciser sur un ton incisif, presque blessant, qu’il s’agissait d’un entretien particulier. Maintenant, Louis d’Orléans préfère ne pas se poser de questions : « Nous verrons bien ce qu’il veut. Le seul moyen de se préparer à une surprise consiste à ne rien envisager de tel. Ces vieillards sont incorrigibles. Ils s’imaginent nous étonner, nous intimider comme des enfants. » En dépit de ses préventions, il ne peut s’empêcher d’être intrigué et même flatté car, enfin, un souverain ne saurait le déranger et se déranger lui-même pour une babiole : « Il a besoin de moi. Cela me paraît évident. » Assourdi par le concert des oiseaux, il ne remarque pas l’arrivée de Sauveterre. Aussi réprime-t-il un sursaut quand celui-ci lui parle dans le dos :
— Monseigneur, Sa Majesté vous attend.
Orléans le suit. Parvenu au bout de la galerie, le valet ouvre une porte et s’efface dans l’ombre. Le duc s’avance à l’intérieur d’une salle carrée, aux murs nus, meublée d’une table ronde et de huit chaises dont l’une, séparée des autres, se trouve à distance de la table. Il s’étonne de ne voir personne et se retourne pour interroger Sauveterre qui a disparu. Il fait encore un pas en avant et remarque au fond de la pièce, entre deux portes, des rideaux qui bougent avant de livrer passage à un grand lévrier qui vient aussitôt le flairer. Il se penche machinalement pour caresser l’animal quand, soudain, les rideaux s’écartent et découvrent une alcôve, un lit sur lequel Louis XI est assis de profil, les jambes allongées sous une couverture.
— Je ne savais pas que vous aimiez les chiens, dit-il.
Orléans s’incline, la gorge sèche, et ne trouve pas ses mots. Le lévrier l’a déjà quitté pour rejoindre le souverain qui ajoute d’une voix douce :
— Mais vous êtes trop distrait. Il faut les caresser avec sentiment, avec idée. Tenez, regardez-moi !
Il flatte de la main la tête du chien et lui parle :
— Alors, Tison, tu es content d’avoir une visite ? Mais oui, tu es content. En octobre, il fait si beau en Touraine.
Louis d’Orléans surmonte son trouble et réussit à dire en maîtrisant chaque mot :
— Sire, je suis heureux de vous rencontrer seul à seul. C’est une faveur insigne que vous m’accordez.
— Seul à seul, croyez-vous ? Tison nous écoute. En doutez-vous ?
— Non, Sire.
— Je parlais de la Touraine. J’aime ce pays pour sa lumière calme et sa mesure. Rien n’est fébrile ici comme à Paris. Les décisions mûrissent bien.
Le roi, qui jusqu’alors se présentait de profil, rejette brusquement la couverture et se tourne de manière à s’asseoir sur le lit, les jambes dans le vide, face à son visiteur. Il le dévisage et sourit. Soulagé, le duc sourit à son tour et sur un ton naturel déclare :
— Sire, vous ne sauriez imaginer la satisfaction que j’éprouve à vous voir en bonne santé.
— Qui pourrait en douter ? Nos intérêts sont liés. La maison d’Orléans touche la nôtre. Elle en fait partie.
Il désigne du doigt la chaise à l’écart de la table :
— Mais asseyez-vous donc !
Orléans, sans hésiter, s’assoit sur le siège choisi par le roi :
— Sire, je vous remercie.
— Eh bien, je vous écoute.
Cette fois, la réflexion de Louis XI démonte carrément le jeune homme qui bredouille :
— Sire, c’est vous qui…
— Oui, c’est moi qui vous ai demandé de venir. Il faut me pardonner. Il m’arrive de perdre l’esprit. Tous mes ennemis s’en réjouissent, mais je vais leur faire la surprise de guérir.
Il sourit à nouveau. Rassuré, le duc sourit aussitôt. Il se dit que le
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