Le Dernier mot d'un roi
serment devant les Évangiles.
Épuisé, il reprend son souffle, tousse et porte la main gauche à son front où perle la sueur. Pierre Parent, qui a déjà trempé sa plume dans l’écritoire et pris des notes, pose en évidence le Livre saint sur la table.
Louis d’Orléans, la rage au cœur, ne doutant pas d’avoir été joué, mais attentif à faire bonne figure, avance d’un pas, redresse la taille, étend le bras au-dessus des Évangiles et d’une voix claire, sur un ton presque désinvolte, jure de renoncer à « ses droits à la régence ».
11
De cette journée d’octobre, Louis d’Orléans ne garde aucune amertume, aucun ressentiment. Trois heures de route sur sa jument allègre et la fierté de retrouver son duché, de revoir son château l’ont guéri. Sa rage au cœur n’a pas duré non plus. Il respire avec soulagement l’air léger, ne regrette rien, approuve ce qu’il a fait. D’abord, il n’a pas dit exactement ce qu’on exigeait de lui. Il a juré de renoncer à « ses droits à la régence ». On lui demandait seulement de renoncer à la régence sans faire, pour autant, référence à ses droits. Il a bien remarqué que cette nuance maligne contrariait le roi qui a failli intervenir, desserrer ses lèvres de carton, réclamer un autre serment avant de céder à la fatigue et se taire. Le duc se félicite de l’avoir regardé dans les yeux pour montrer qu’il n’obéissait pas à la force, encore moins à la peur, et choisissait lui-même de jurer, de donner son accord, de signifier en silence : « Vous croyez me contraindre, Sire, et moi, je suis ravi, allégé d’un rude souci. Je vous laisse à vos calculs de vieillard et vais profiter de ma jeunesse. » Cela dit, il n’avait aucune possibilité d’agir autrement. On ne refuse pas devant témoins ce que demande le roi. Un tel affront serait un crime de lèse-majesté. Louis d’Orléans tient à la vie.
Pour l’instant, il retrouve son domaine, ses amis, ses maîtresses, ses domestiques, son château qui domine la Loire, et Blois, sa ville natale, un capital considérable quand on est propriétaire d’une santé comme la sienne. Il compte sur elle pour attendre sans impatience le moment d’agir. Il ignore quand ni comment, mais peu lui importe. Il s’en remet aux libres générosités de son corps qui ne le trahit jamais, se moque de la fatigue, lui procure des sentiments vivaces et des idées solides à l’abri des méditations, des rêves et des remords. Apparemment, aucune responsabilité morale ou politique ne freine, aujourd’hui, son appétit de vivre.
Il lui arrive pourtant de songer à la gloire. En réalité, c’est la gloire qui lui fait visite sous de vagues prétextes. Elle le réchauffe par surprise avec les égards d’une courtisane qui caresse un adolescent. Il ne doute sérieusement ni de lui-même ni de son destin. De petites phrases le prouvent qui lui échappent à l’occasion, par exemple : « J’ai le temps pour moi » ou : « Je n’ai pas dit mon dernier mot. » Cette confiance tient à sa jeunesse, bien sûr, à sa robuste vitalité, mais peut-être a-t-elle une autre source, peut-être naît-elle de la France devenue forte, de ce royaume compact sur lequel on peut marcher hardiment et former des projets sans que le sol ne se dérobe sous le pied : la terre ferme, en somme.
Au Plessis, la vie quotidienne devient une épreuve pour les infortunés qui ont le devoir et la charge de veiller sur le roi. Devant la maladie qui empire chaque jour et dont l’issue fatale paraît imminente, les caprices, les phobies et les superstitions du souverain accablent, épuisent son entourage. Il demande l’impossible à ses médecins, l’inacceptable à ses proches, souhaite à la fois qu’on le laisse tranquille et qu’on le soigne, qu’on respecte sa solitude et qu’on s’occupe de lui. À présent, sa chambre favorite lui déplaît, lui fait peur, ainsi que les autres chambres. Il prétend que tous les lits où il a couché ont pris la mesure de son corps. Il les compare à des cercueils et choisit de dormir ailleurs, de préférence dans la grande galerie, sur un fauteuil, près de la fenêtre. Là, il exige de ne pas être dérangé, ne supporte aucune allée et venue, aucune parole, aucune attention, aucune surveillance. Personne ne lui obéit, bien sûr, car il
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