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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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une résolution dont dépend l’avenir du royaume ? Comment peut-il concevoir ce paradoxe de ne compter que sur soi-même, alors qu’on est entouré de ministres et de conseillers ? Comment saurait-il imaginer qu’à travers les joies, les passions, les colères et les affres du gouvernement, la prière cesse d’être un refuge pour devenir une force ? Agrandir un pays que l’héritage vous a donné, rendre ferme et solide une terre qui s’effritait, voilà, me semble-t-il, un travail qui doit plaire à Dieu. »
    Dans la bouche de François de Paule, il y a un verbe qui trouble Louis et choque sa morale personnelle : « s’abandonner ». Il a toujours considéré avec mépris les gens qui prétendent « savoir se retirer à temps » sous prétexte de prévenir le danger, la vieillesse ou la fatigue. Alors, aujourd’hui, il n’est pas prêt de s’abandonner à Dieu, bien qu’il s’agisse, là – il le reconnaît –, d’une aventure plus exigeante et plus dramatique que de se confier au repos ou de se vouer à la retraite. Pour l’instant, il demeure persuadé que rien n’arrête ses responsabilités ni ses devoirs immédiats et que son métier de roi continue. Nous sommes le 30 juin. Il lui faut préparer en pensée la journée de demain, lundi 1 er  juillet, où il aura un grand rôle à jouer : recevoir les notables des villes et notamment les marchands qui ont assisté, quatre jours plus tôt, dans la cour du château d’Amboise, aux fiançailles du dauphin Charles et de Marguerite de Bourgogne, âgée de trois ans. Louis devra prendre la parole et s’en inquiète. Depuis une semaine, il doit lutter en public pour ne pas courber la tête et la tenir droite. À la moindre occasion, son corps le trahit. Ses muscles, ses nerfs ne répondent à ses ordres que de manière capricieuse. Il éprouve d’énormes difficultés à prononcer certains mots, à les articuler dans des phrases, alors qu’il y parvient mentalement sans aucun effort. Il conserve toute sa lucidité et s’en félicite, mais on dirait qu’il ne la garde que pour lui, car son élocution défaillante ne lui permet pas d’en faire état. Il craint, à tout moment, qu’on ne le juge incohérent ou que de mauvais esprits n’évoquent le spectre de son grand-père Charles VI. Aussi se promet-il de faire bonne figure demain, d’être éloquent, de tendre sa volonté, sa voix, comme une arbalète, quitte à crier s’il le faut, user ses dernières forces : « Vous verrez, Messieurs, je suis encore capable de vous étonner. »
     
    Tout s’était passé à merveille, hormis deux incidents mineurs que personne n’avait remarqués, au cours desquels Louis avait failli perdre à la fois la mémoire et le sens. Sinon, on l’avait bien entendu, bien compris. Il avait remercié les marchands d’être venus au Plessis. « Chez moi, vous êtes chez vous », avait-il dit à deux reprises. Il avait annoncé des réformes favorables à leur négoce : désormais, aucune autorité n’aurait juridiction sur eux, à part les juges locaux ordinaires. Ensuite, tous les péages intérieurs du royaume seraient supprimés jusqu’à la frontière. Enfin, il ferait le nécessaire pour que, d’une province à l’autre, on utilisât la même mesure de poids et, si possible, une seule monnaie en cours. Un murmure d’approbation et de gratitude s’était répandu dans la salle, avait reflué par bouffées jusqu’au trône. Oui, tout s’était passé à merveille.
    Et voilà qu’au moment où les invités prenaient congé et faisaient grande révérence, quelque chose d’infime, une sorte de fil, s’était cassé dans la tête du roi, sous la tempe gauche. Il avait entendu comme le bruit d’un insecte qui se posait au-dessus de son oreille ; il avait esquissé un geste pour le chasser, tandis qu’un nœud serrait sa gorge, tordait sa langue et sa bouche.
     
    L’air tiède d’un bleu-noir entre par la fenêtre ouverte, enveloppe comme un linge moite le visage du roi sur l’oreiller. D’habitude, les malades en danger de mort redoutent la nuit, d’abord parce que les souffrances du corps s’exacerbent dans le noir, ensuite à cause des douleurs morales qui s’enveniment, sécrètent le désespoir et l’angoisse. Mais Louis ne regrette pas le jour. Au contraire. Le jour, il lui faut endurer tous ces regards

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