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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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se tenir à l’écart de Louis d’Orléans afin d’éviter la contagion. Jeanne s’est contentée de hocher la tête pour manifester son désaccord. Alors, sur un ton vif, Cato a précisé qu’il lui donnait ce conseil à la demande du roi : « Il m’envoie à Lignières dans ce but. » Elle a répliqué gentiment, lentement, sans chercher ses mots : « Cela me surprend de sa part. Une telle prudence, étrangère à la charité chrétienne, ne lui ressemble pas. Mon père n’est pas homme précautionneux. »
    Elle s’interroge, à présent, ne comprend pas comment elle a eu l’audace de répondre de cette manière et de formuler de pareils jugements. Elle se souvient que Sauveterre l’a regardée à ce moment-là et qu’il a souri. Peut-être est-ce à cause de lui qu’elle a parlé ainsi. Elle n’a pas l’impression de s’intéresser à cet homme qui ne dit jamais rien. Pourtant, elle n’oublie pas son silence. Il est reparti le jour même, une heure après son arrivée.
     
    Louis d’Orléans voudrait bien savoir pourquoi le plaisir qu’il éprouve à guérir, reprendre des forces, renaître à la vie le laisse insatisfait. Les énergies qu’il retrouve lui paraissent différentes de naguère, réfléchies, prudentes, comme si elles ne venaient pas du corps. La vigueur qui renaît dans sa chair, dans ses membres, ne lui donne plus cet élan du cœur, cette insouciance impulsive. Sa confiance en lui que la maladie avait tuée à Bourges, quand il perdait la volonté de vivre, lui revient lentement avec une sorte d’application, un effort de l’esprit. Et voilà, maintenant, qu’il se pose des questions sur le temps, non pas le temps qu’il fait, mais celui qui passe. Jadis, il l’avait devant lui comme un capital évident, une fortune dont on ne se préoccupe pas. Aujourd’hui, il s’arrête et se retourne, regarde en arrière pour comparer des dates, faire des comptes. Il sait par exemple qu’il aura vingt et un ans dans deux mois et ce chiffre l’oblige à méditer, à se soucier de l’avenir et de la politique, non pas sur un caprice ou sur un coup de tête comme autrefois, mais en homme sérieux qui a le sens et le besoin de la durée. Au lieu de se contenter de petits remords entre deux aventures galantes, de s’adresser des reproches éphémères entre deux chevauchées, il veut prendre une conscience définitive de son rôle et de ses devoirs, autrement dit découvrir la maturité avec quatre ou cinq ans de retard et se conduire en conséquence : « On m’a tenu à l’écart des affaires et je ne me suis pas défendu. À mon âge, Anne de Beaujeu va prendre le royaume en main. Et moi, je ne fais rien. J’attends dans mon lit. Je bois des tisanes. »
    Nous sommes le 24 avril, au matin. Après avoir pris médecine à sept heures et renvoyé Étienne Alibert, Louis d’Orléans a exigé d’être seul dans la chambre. Jeanne n’a pas insisté et s’est retirée immédiatement. Le duc a poussé un soupir bruyant. Chaque fois qu’elle s’éloigne, il réagit ainsi. Il a fini par s’habituer à sa lippe, à sa bosse, à sa boiterie mais, désormais, ce sont les qualités de Jeanne qui l’exaspèrent : son dévouement, son courage, sa bonté tenace, son regard gris-vert qui ne lui fait aucun reproche et c’est précisément ce qu’il supporte le moins. Oui, le regard de Jeanne se pose sur lui et ne demande rien. On dirait qu’elle le remercie d’exister. Alors, il se fige, détourne les yeux ou s’attache à les rendre inexpressifs, ne répond que du bout des lèvres, prétend avoir sommeil ou se plaint de migraine et cette comédie contre nature lui coûte de pénibles efforts : « Seigneur, faites que cette épreuve se termine et que je regagne Blois ! »
    Parfois, sans méchanceté, seulement pour l’inciter à partir, il lui parle de ses maîtresses dont il ne cite que les prénoms mais, au lieu de lui tourner le dos et de rejoindre la porte, elle s’assoit près du lit et l’écoute avec attention, sans amertume apparente, sans complaisance, non plus. Contrarié et même humilié de ne provoquer chez elle aucune jalousie, il se lasse le premier de ces confidences.
    Un événement secondaire l’a particulièrement agacé. Il a appris récemment que Jeanne avait rencontré Marguerite d’Aunis et que les deux jeunes femmes avaient sympathisé. Marguerite

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