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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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mortes. L’automne est la saison des fruits.

13
    Louis XI, le plus dévot des rois, a peur de la mort et ne s’en cache pas. C’est du moins l’impression que donnent ses prières et chacun le déplore, comme si la religion et la royauté perdaient, à tour de rôle, de la hauteur.
    Mais peut-être s’agit-il d’un malentendu. En réalité, ce n’est pas la mort que Louis appréhende. À la guerre, il a toujours montré qu’il ne la craignait pas. Non, il ne redoute que l’inaction, le désastre de n’avoir plus rien à faire, plus rien à décider, n’être responsable de rien, s’en remettre au hasard, à l’immédiat, oublier l’avenir, au lieu de gouverner son royaume et son destin comme il l’a toujours fait. Il s’est confié à Angelo Cato qui a voulu s’arrêter quelques jours au Plessis avant de s’installer à Vienne.
    — En somme, a remarqué avec le sourire le futur archevêque, vous ne vous inquiétez que de cesser de vivre.
    — Non, pas du tout ! La vie ne m’intéresse pas. Depuis deux ans, elle me fait endurer le martyre. Aussi, à chaque heure du jour et de la nuit, je souhaite sa mort. Sa mort, et non la mienne, vous comprenez ?
    — Pas assez.
    — C’est pourtant simple. La mort de moi signifie la fin de mon travail, la fin de mon métier de roi. Je ne demande que d’achever l’œuvre commencée.
    — Il me semble, Sire, que vous pouvez compter sur Anne, votre fille, et sur Pierre, votre gendre, qui veilleront sur Charles, en feront un roi digne de vous succéder. Vous avez toutes les raisons du monde de leur vouer confiance.
    — Oui, je sais. Mais je n’aime pas me reposer sur les autres. Cette attitude va contre ma nature et la perspective de m’y résoudre me rend plus malade encore que je ne suis.
    Au cours de ce bref entretien, Louis n’a jamais cherché ses mots, mais la douleur et la toux ont souvent étouffé ses phrases. Heureusement, Angelo a su lire sur ses lèvres et deviné sa pensée la moins perceptible.
    — Merci, a murmuré Louis.
    — Merci de quoi, Sire ?
    — De comprendre.
    Le roi, assis sur le lit, a essuyé et décollé ses paupières rouges avec la main gauche, alors que la droite demeurait inerte sous le drap. Les premières chaleurs de l’été accablaient son visage décharné, luisant de sueur et maculé de taches violettes. Angelo s’est incliné avec gratitude et respect. Son cœur battait de manière inhabituelle, à cause du compliment que venait de lui adresser le roi de France.
    — À vos côtés, Dieu m’aide, Sire, a-t-il répondu à mi-voix.
    Six mois plus tôt, Louis s’était agenouillé devant François de Paule qu’il avait fait venir à grands frais d’Italie. Il avait supplié le célèbre ermite de prier pour lui. « Dieu vous écoutera si vous lui demandez d’allonger mes jours. Oui, Dieu vous écoutera », avait-il dit, le dos courbé, au risque de ne plus pouvoir se relever. François de Paule avait répondu qu’il parlerait au Seigneur comme il avait coutume de le faire : sans présomption ni vanité de l’influencer. « Sa miséricorde n’a pas besoin de conseil », avait-il ajouté, le regard clair, et comme Louis, après s’être redressé à grand-peine, affirmait, hors d’haleine, que le métier de roi était sa raison de vivre et qu’en l’exerçant avec ferveur il travaillait sans relâche au service de Dieu, le saint homme, vêtu de bure, avait répliqué : « Vivant, vous croyez appartenir à votre métier de roi, alors qu’un chrétien n’appartient qu’à Dieu. Mort, votre métier sera de vous abandonner à Lui et de ne rien faire, ne rien attendre, sinon son amour et son pardon. »
    Louis se souvient, aujourd’hui, de cette parole dont le ton austère et péremptoire valait un reproche. Il croyait l’avoir oubliée, alors qu’elle a longtemps cheminé dans l’ombre de sa mémoire, errant d’un repli à l’autre. Et voilà qu’il la retrouve, maintenant, qu’elle met son courage à l’épreuve et le conduit à réagir, à se défendre. Il admire, vénère François de Paule, attend toujours un miracle de sa part, mais ne peut s’interdire de penser que l’ermite, détaché du monde, enfermé dans son rigorisme sublime, évoque un métier dont il n’a aucune idée : « Que sait-il de la solitude du roi, à l’heure du choix, quand il faut prendre

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