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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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immobiles, toutes ces têtes qui tournent autour de son lit, attentives à son souffle, à ses tremblements, à ses grimaces, ces figures qui s’appliquent à paraître affligées, ces médecins qui veulent sans cesse intervenir, cette assemblée surchauffée dont les silences sont encore plus lourds, plus intolérables que les paroles. Oui, Louis a horreur du jour. Comment pourrait-il réfléchir et voir en soi, de l’aube au crépuscule, dans une chambre troublée par la respiration de chacun, saturée de réflexions muettes et de sous-entendus ?
    En ce moment, il n’y a que deux personnes dans la pièce : Sauveterre et lui. Il a refusé, tour à tour, la présence de Commynes, celle d’Adam Fumée et celle de Jacques Coitier. Depuis lundi soir, c’est ainsi. Désormais, la nuit, il n’accepte d’être veillé que par Sauveterre. Lui seul pourrait expliquer ce choix, mais il s’en garderait bien. Leur accord n’a d’intérêt que s’il reste tacite et, dans la mesure du possible, incompréhensible. Entre quatre murs, Sauveterre a le pouvoir de tenir compagnie au roi sans manifester qu’il existe. On ne l’entend pas respirer. Son corps monumental appartient à l’ombre, ne pèse rien. Ses silences n’impatientent personne et ses rares paroles tombent quand on les attend.
    Il faut, maintenant, que Louis reprenne ses esprits et revoie dans le détail les événements d’avant-hier : lundi soir, après la visite des marchands, quand il s’est affalé entre le trône et la table du Conseil, tout le monde l’a cru mort, alors qu’il n’avait perdu que la parole. Puis, on a reconnu qu’il vivait encore, mais, après examen, les médecins Adam Fumée et Jacques Coitier ont remarqué qu’il ne réagissait plus, que la conscience et le sens lui faisaient défaut et qu’on n’avait pas à se gêner pour parler devant lui. Toutefois, ils se sont contentés de chuchoter. Jacques Coitier a murmuré à l’oreille du théologien Jean d’Arly : « Cette fois, je crois bien… » Louis l’a entendu. Il a vu que d’un mouvement de tête le théologien approuvait le médecin. Les yeux mi-clos, à travers les cils, il l’a vu. Il a détesté ces deux hommes, notamment Jean d’Arly qui lui tient d’habitude des propos encourageants sur l’existence terrestre et les fins dernières. Il aurait voulu crier : « Vous vous croyez les plus forts. On ne décide pas ainsi de ma vie. Je ne suis pas mort. Vous allez voir. »
    Il a senti que sa langue pouvait à nouveau se mouvoir à l’intérieur de la bouche et que sa gorge se dénouait. Au prix d’un effort qui a raidi son corps des talons à la nuque, il a réussi à émettre un son, puis un autre. Commynes, aussitôt, s’est penché.
    — Sire ? a-t-il demandé.
    — Je… veux…
    — Je vous écoute, Sire.
    — François…
    — François de Paule ?
    — Oui.
    Ici, Jacques Coitier a fait acte d’autorité. Il peut se le permettre depuis que le roi l’a choisi comme premier médecin et se montre confiant à son égard, patient jusqu’à la faiblesse, implorant les secours de la science avec la naïveté d’un enfant. Coitier aime son métier mais ne goûte guère les surprises qui contrarient ses opinions professionnelles. Ainsi, il n’a pas apprécié que, contrairement à ses prévisions, Louis XI retrouvât aussi vite la parole. Ensuite, il n’a jamais pardonné à François de Paule d’exercer sur le souverain une influence qui fît de l’ombre à la médecine. À mots couverts, il s’est toujours moqué de l’ermite et de son auréole. On dit que le saint homme habite sous un rocher, couche sur une natte de jonc tissée de ses mains, ne se nourrit que de racines et de fruits. Cette légende prête à des commentaires narquois et Jacques Coitier ne s’en prive pas : « Quelle idée de tisser une natte de jonc ! D’ordinaire, un ermite couche à même le sol comme un soldat. » Alors, lundi soir, Coitier n’a pas supporté que le roi appelât ce « thaumaturge ». Après avoir consulté du regard Jean d’Arly, il a discrètement écarté Commynes, s’est courbé au plus près du malade et lui a soufflé au visage :
    — Sire, il ne faut plus attendre de miracle. Vous devez accepter la vérité, même si elle vous paraît dure. Sur cette terre, c’en est fait de vous. Ne comptez plus sur une vie

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