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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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qui, déjà, appartient à Dieu.
    Louis a écouté cette sentence sans réagir, comme si elle s’adressait à quelqu’un d’autre. Sur le moment, elle ne l’a pas heurté, ne lui a fait aucun mal. Il a réussi, tout de même, à répondre :
    — Peut-être… je ne suis… pas aussi malade… que vous le pensez.
    En réalité, il aurait voulu se moquer et dire : « que vous le souhaitez », mais sa langue n’a pas obéi.
    Maintenant, la mémoire trouble ses impressions, les modifie. Ainsi, la voix de Coitier a changé. Elle chuinte à présent et ressasse : « C’en est fait de vous. » Louis ferme les yeux avec agacement et sa pensée répond, dents serrées : « Tu n’as pas besoin de répéter. J’ai compris. » Mais pourquoi ferme-t-il les yeux ? On dirait qu’il ne veut pas regarder en face cette découverte : il va mourir. Oui, il s’agit bien d’une découverte. Aussi inconcevable que cela soit, c’est la première fois qu’il accepte l’évidence, qu’il abdique devant elle. Oui, cet homme si lucide et si subtil, si ferme et si redoutable dans ses calculs, si compliqué dans ses humeurs, connaît, en ce moment, la simplicité d’un innocent. Il ne doute plus de sa mort et cette vérité lui paraît insensée. Pourtant, il sait très bien que le roi, homme comme les autres, ne peut être immortel. Il sait aussi que le roi ne meurt pas quand il a un fils. Mais, pour l’instant, Louis n’a que faire des raisonnements et des symboles. L’idée de ne plus exister sur cette terre, de n’être que l’ombre, le reflet de ce qu’il a été, le blesse comme une faute : « Il y a là un phénomène impossible. En ce monde, je me suis trop battu pour croire en mon absence. » Tous les prêtres qui, au cours de sa longue vie de prières, l’ont écouté en confession seraient consternés, aujourd’hui, de l’entendre. « Quelle impiété, mon fils ! Dieu vous attend. Comment pouvez-vous l’oublier ? » diraient-ils en joignant les mains. Hélas, Louis ne se tourne pas de ce côté-là. Ce sont des émotions terrestres, des souvenirs païens qui le sollicitent. Il réalise, soudain, que la vie l’a toujours intéressé, contrairement à ce qu’il a dit à Angelo Cato, il y a trois jours. Il comprend maintenant que son métier de roi a longtemps dissimulé sa rage de vivre mais n’a jamais pu s’en détacher. Et voilà que ce monarque de cuir, qui a toujours traité l’émotivité par le mépris et considéré les sentiments personnels comme de « petites choses », s’attendrit sur le passé, sur des images éparpillées qui lui semblaient insignifiantes naguère, sur des visages oubliés qui tombent au hasard dans la mémoire et se retournent comme des cartes, ainsi celui de Felice Raynaud, toute jeune et décoiffée sur les bords de l’Isère. Il avait vingt-quatre ans et gouvernait le Dauphiné. Elle venait de lui dire en souriant d’une voix voilée par la fierté et par les larmes retenues : « Comment faites-vous, Louis, pour ne pas avoir de cœur ? » Il avait ri, haussé les épaules et répondu : « Je ne sais pas. Je n’ai pas le temps. » Maintenant, non plus, il n’a pas le temps, mais les raisons, cette fois, ne donnent pas envie de rire : « Mon Dieu, combien de semaines, combien de jours me reste-t-il ? Vous le savez, mon Dieu. Alors, dites-le-moi ! » Il veut prier, réunir ses mains, mais la droite refuse, incapable de trembler, inerte à jamais, morte. Il se demande comment son esprit peut entretenir encore une telle énergie, une telle vitalité, alors que son corps s’épuise inexorablement, s’éteint morceau par morceau. Ses douleurs mêmes finissent par se lasser, comme celles d’un blessé saisi par le froid. Pourtant, c’est une nuit chaude qui l’enveloppe et qu’il juge humide, alors que la sueur naît de son front, de ses tempes, baigne ses joues, semble sourdre de ses os qui menacent de trouer la peau. La fenêtre ouverte lui apporte des odeurs d’herbe foulée et l’appel lointain d’une chouette : « signe de malheur », disent les paysans. Et voilà que les souvenirs de chasse défilent dans sa tête, un flot d’images qui se précipitent et se bousculent sans ordre, des bêtes qui courent, qui sautent, qui saignent et ne s’arrêtent même pas pour mourir. Il reconnaît finalement

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