Le Dernier mot d'un roi
a commis l’imprudence d’avouer au duc que la duchesse l’avait émue. « C’est une sainte, une âme au-dessus des autres, a-t-elle dit avec respect. Nous devons le reconnaître même si la vérité nous gêne. » Louis d’Orléans l’a traitée de sotte, avant d’ajouter avec colère : « Moi, cette vérité ne me gêne pas. Je n’ai pas besoin d’une sainte pour croire en Dieu. Quant à toi, si tu veux que nous restions amis, évite de me parler d’elle. »
D’une certaine manière, il ment. Cette vérité le gêne. Une fois, une seule fois, Jeanne a fait, devant lui, allusion à la prière : « Les gens s’imaginent qu’il convient de s’humilier en tombant à genoux. C’est le contraire qu’il faut espérer. En prière, je ne ressens qu’une fierté infinie : celle de m’oublier pour l’amour de Dieu. » C’était avant-hier, en fin de journée. On venait d’allumer un chandelier à deux branches sur la table de nuit. En tremblant, les flammes tentaient de se joindre. Le duc a prétendu qu’il avait mal à la tête.
Hier, il a reçu la visite de Sauveterre et d’Angelo Cato. C’est Jeanne qui les a introduits dans la chambre alors qu’il n’avait pas encore quitté son lit. Avant de sortir discrètement, elle a précisé qu’ils venaient de la part du roi. Cato s’est montré déférent sans excès de cérémonie. Après s’être incliné, il a dit que la santé d’un prince de sang ne pouvait laisser personne indifférent, à plus forte raison Sa Majesté. Le duc n’a pas jugé bon de se lever. Il a seulement redressé la tête sur l’oreiller et répondu que de telles attentions l’honoraient, avant d’ajouter avec un demi-sourire : « Le roi a toujours manifesté beaucoup d’intérêt pour ma personne et je ne doute pas qu’il s’inquiète de mon état. Aussi, rassurez-le, je vous en prie. À présent, me voilà guéri. » Sensible à l’ironie cachée de cette repartie, Cato a répliqué sur un ton jovial : « Dieu merci, votre mine le prouve. Il serait imprudent, toutefois, de hâter votre convalescence. La guérison est une victoire, à condition de faire place nette comme à la guerre et de ne laisser en vie aucun ennemi » et, comme le duc gardait le silence au lieu d’approuver la subtilité d’une telle comparaison, Cato lui a conseillé de réparer ses forces en prenant quatre fois par jour un bouillon de bœuf coupé de crème d’orge. Planté au milieu de la pièce et silencieux comme une tour de guet, Sauveterre, le regard braqué sur la fenêtre, donnait l’impression de n’écouter personne.
L’entrevue n’a duré qu’une dizaine de minutes. Louis d’Orléans s’en souvient comme d’une scène comique. Dans son état, la dérision lui paraît plus sage que la colère et plus opportune que le ressentiment : « Quel honneur me fait le roi de France ! Il s’inquiète de ma guérison. Elle le tracasse. Alors, il m’envoie ses espions pour se tenir au courant, le médecin bavard, marchand de miel, et l’autre, le géant aux aguets, muet comme une lanterne des morts. »
Le « petit duc » a grandi et sa haine a changé de nature. Au lieu d’exister par soubresauts, la voilà bien installée, solide, recuite : « Quand on fait la guerre aux fourbes, aux malins, il faut utiliser leurs armes, mentir avec conscience, se maquiller avec art, jouer l’amitié, simuler la paix. S’il meurt demain, je pleurerai en public. Ce jour-là, je serai le premier prince de sang, le personnage le plus important de France. Anne de Beaujeu n’aura qu’à bien se tenir. Tous les gentilshommes de bon sens jugent inacceptable qu’une femme gouverne un royaume. Il s’agit là d’une insulte à la plus sacrée des traditions. »
C’est toujours un moment critique de réconfort et d’anxiété que celui où l’on ne rêve plus, où l’on ne joue plus avec les réalités, où l’on doit les regarder en face. Désormais, le duc ne prendra plus ses foucades pour des sentiments et ses mouvements pour des idées. Fini, les décisions à cheval. Il sait – son corps le lui a dit – qu’il ne sera plus robuste comme avant et qu’il devra mesurer ses efforts. L’âge de raison exige la fin du printemps qui, chez lui, a trop duré. Il doit s’en réjouir. Tant pis si sa jeunesse repose à présent sous des feuilles
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