Le dernier royaume
pas davantage.
Mais Guthrum avait dit vrai. On complotait à Eoferwic, même
si je doute qu’Egbert en fût coupable. C’était Kjartan, qui commençait à faire
courir le bruit que le roi Egbert organisait secrètement une rébellion. Les rumeurs
devinrent si persistantes et la réputation du roi en fut si entamée qu’Egbert,
craignant pour sa vie, réussit à échapper à ses gardes danes. Il trouva refuge
chez le roi Burghred de Mercie. Ricsig de Dunholm, l’homme qui avait livré à
Ragnar les moines capturés, fut proclamé nouveau roi de Northumbrie, et il
récompensa Kjartan en l’autorisant à ravager tout lieu pouvant abriter des
rebelles. Kjartan saccagea les derniers monastères et couvents de Northumbrie.
Il accrut ainsi ses richesses et resta le chef de guerre et le collecteur
d’impôts de Ricsig.
Nous n’y attachâmes aucune importance. Nous rentrâmes les
récoltes, festoyâmes, et on annonça qu’à Yule auraient lieu les noces de Thyra
et Anwend. Ragnar demanda à Ealdwulf le forgeron de fabriquer pour Anwend une
épée aussi belle que Souffle-de-Serpent.
Ealdwulf s’en acquitta et me forgea une spathe, la courte
épée que conseillait Tokki pour le combat dans le mur de boucliers. J’appelai
ma spathe Dard-de-Guêpe, car elle était courte, et j’étais impatient de
l’essayer sur l’ennemi.
— Les ennemis surgissent toujours assez tôt dans la vie
d’un homme, me dit Ealdwulf pour réfréner mon enthousiasme. Tu n’as point
besoin de les chercher.
Je façonnai mon premier bouclier au début de l’hiver en
coupant le tilleul et en forgeant la grosse bosse munie d’une poignée qui
traversait le bois. Je le peignis en noir et l’ornai d’une bordure d’acier. Il
était bien lourd, et j’appris plus tard à en fabriquer de plus légers, mais
cette année-là je ne quittai pas mon bouclier, mon épée et ma spathe pour
m’accoutumer à leurs poids, et je m’entraînai à frapper et parer tout en
rêvant. Je redoutais mon premier combat dans le mur de boucliers autant que je
le désirais : nul homme n’était un vrai guerrier tant qu’il n’avait pas combattu
dans le premier rang, royaume de la mort et de l’horreur, et comme un sot je
voulais y être.
Nous nous préparâmes à la guerre, tandis que Sigrid se
réjouissait des préparatifs des noces de Thyra. Il y eut une cérémonie de
fiançailles au début de l’hiver. Anwend, revêtu de ses plus beaux habits
soigneusement rapiécés, se rendit à notre château avec six de ses amis et
demanda timidement à Ragnar la main de Thyra. Tout le monde savait qu’il allait
être son époux, mais le rituel était important. Thyra était assise entre ses
parents et Anwend promit à Ragnar qu’il l’aimerait, la chérirait et la
protégerait. Puis il offrit vingt pièces d’argent. C’était une somme
importante, mais sans doute montrait-il ainsi combien il l’aimait.
— Donne-m’en seulement dix, dit Ragnar, toujours aussi
généreux. Et dépense le reste pour un manteau neuf.
— Vingt siéront, intervint Sigrid d’un ton ferme, alors
que la somme, bien que donnée à Ragnar, devait revenir à Thyra après le
mariage.
— Alors, Thyra t’offrira ce manteau, dit Ragnar en
prenant les pièces.
Puis il étreignit Anwend, il y eut un festin et Ragnar fut,
ce soir-là, heureux comme il ne l’avait pas été depuis la mort de Rorik. Thyra
contempla les danses, rougissant parfois quand elle croisait le regard
d’Anwend. Ses six amis, tous des guerriers de Ragnar, reviendraient avec lui
lors du mariage. Ils assisteraient à leur nuit de noces et ce serait seulement
lorsqu’ils témoigneraient que Thyra était devenue femme que le mariage serait
officiel.
En un mot comme en cent, nous pensions que le monde
continuerait comme depuis toujours. Et au pied d’Yggdrasil, l’arbre de vie, les
trois fileuses se moquaient de nous.
J’ai passé de nombreux Noëls à la cour saxonne. Les Saxons
parvenaient à gâcher cette fête hivernale avec des moines qui psalmodiaient,
des prêtres qui radotaient et d’affreusement longs sermons. Yule est une fête
et un réconfort, un moment de chaleur et de lumière au cœur de l’hiver, où l’on
mange parce que l’on sait que les privations viendront lorsque manqueront les
vivres et que la glace figera les terres. C’est le moment où il faut être
heureux et s’enivrer, se réveiller le lendemain en se demandant si l’on sera
jamais ragaillardi.
Et la fête de
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