Le dernier templier
trou noir dès lors qu’il s’agit de trouver des faits vérifiables. Mais si on ne peut pas dire avec certitude ce qui s’est passé en Terre sainte il y a près de deux mille ans, nous savons au moins une chose : aucun des quatre Évangiles qui constituent le Nouveau Testament n’a été écrit par des contemporains de Jésus. Ce qui ne manque jamais de prendre les chrétiens au dépourvu.
« On pense que le plus ancien des quatre, précisa-t-il, l’Évangile de Marc — ou plutôt, celui que nous appelons ainsi, bien que nous ne sachions pas qui en est l’auteur, car il était courant à l’époque d’attribuer des écrits à des gens célèbres —, a été rédigé au moins quarante ans après la mort de Jésus. Donc, au mieux, nous parlons ici d’histoires transmises de bouche à oreille, pendant quarante ans, sans le moindre écrit. Alors dites-moi, agent Reilly, si vous deviez mener une enquête, quelle confiance accorderiez-vous à de telles preuves, quelle précision leur attribueriez-vous après quarante années de transmission autour de feux de camp par des hommes primitifs, sans éducation et bourrés de superstitions ?
Reilly n’eut pas le temps de répondre, car l’universitaire continuait.
— Il y a beaucoup plus troublant encore, si vous me posez la question. C’est la manière dont ces quatre Évangiles ont été intégrés dans le Nouveau Testament. Vous voyez, au cours des deux cents ans qui ont suivi la rédaction de l’Évangile de Marc, nous savons que nombre d’autres Évangiles ont été écrits, évoquant toutes sortes d’histoires à propos de la vie de Jésus. À mesure que le mouvement primitif devenait de plus en plus populaire et se répandait dans les communautés dispersées, les récits de la vie de Jésus prenaient des couleurs locales influencées par les circonstances particulières de chaque communauté. Des dizaines d’Évangiles différents circulaient et se contredisaient souvent les uns les autres. Nous savons cela grâce à un fait précis : en décembre 1945, des paysans arabes étaient en train de retourner leurs terres dans les montagnes de Jabal ai-Tarif, en haute Égypte. Ils se trouvaient près de la ville de Nag Hammadi quand ils ont découvert une jarre en terre cuite de près de deux mètres de haut. D’abord, ils ont hésité à la briser. Ils avaient peur qu’un djinn — un mauvais esprit — soit emprisonné à l’intérieur. Mais ils ont fini par se lancer, espérant plutôt trouver de l’or. Et cela a conduit à l’une des plus étonnantes découvertes archéologiques de tous les temps : dans la jarre, il y avait treize livres en papyrus, reliés en cuir de gazelle repoussé. Malheureusement, les paysans n’ont pas compris tout de suite la valeur de ce qu’ils avaient trouvé, et certains des livres et des feuilles de papyrus volantes ont brûlé dans les flammes de leurs foyers. D’autres pages ont été perdues quand les documents sont partis pour le Musée copte du Caire. Bref, ce qui a survécu, soit cinquante-cinq textes, est encore l’objet de controverses parmi les spécialistes de la Bible, car ces documents — que l’on appelle généralement les Évangiles gnostiques — évoquent des paroles et des enseignements de Jésus qui ne concordent pas avec ceux du Nouveau Testament.
— Gnostiques ? demanda Reilly. Comme les cathares ?
— Précisément. Parmi les textes trouvés à Nag Hammadi, il y a l’Évangile de Thomas, qui se présente lui-même comme un Évangile secret, et commence par ces lignes : « Voici les paroles secrètes prononcées par Jésus de son vivant et que son jumeau, Judas Thomas, a mises par écrit. » Son jumeau. Et il n’y a pas que cela. Dans le même volume figurait aussi l’Évangile de Philippe, qui, explicitement, décrit la relation de Jésus et de Marie Madeleine comme une relation d’amants. Marie Madeleine a son propre Évangile, dans lequel elle est considérée comme une disciple et le chef d’un groupe chrétien. Et il existe encore l’Évangile de Pierre, l’Évangile des Égyptiens, le livre secret de Jean... On recense même un Évangile de Vérité aux connotations bouddhistes. La liste est longue.
« Hormis le fait d’attribuer à Jésus des actes et des paroles différents de ceux du Nouveau Testament, continua-t-il, tous ces Évangiles ont en commun de considérer les croyances chrétiennes, telles que la virginité de la mère de Jésus et la
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