Le dernier templier

Testament soit entérinée. Avant la fin de ce siècle-là, le christianisme est devenu la religion officielle, et la possession de tout texte jugé comme hérétique a été considérée comme un crime. Tous les exemplaires connus des Évangiles apocryphes ont été brûlés ou détruits. Tous... à l’exception de ceux qui ont été cachés dans les grottes de Nag Hammadi, et qui montrent que Jésus n’avait en aucune manière de caractère surnaturel.
    Tout en parlant, Vance gardait les yeux rivés sur Reilly.
    — Ils ont été proscrits parce que le Jésus de ces textes n’était qu’un sage, prêchant une vie d’errance, sans possessions propres, tournée vers une acceptation inconditionnelle de tous les êtres humains. Il n’était pas venu pour nous sauver du péché ni de la damnation éternelle. Il était là pour nous guider vers une sorte de compréhension spirituelle. Et dès qu’un disciple atteignait l’illumination — cette notion a dû infliger bien des nuits blanches à Irénée et à ses amis —, il n’avait plus besoin de son maître. L’élève devenait l’égal de ce dernier. Les quatre Évangiles canoniques, ceux qui figurent dans le Nouveau Testament, voient Jésus comme notre Sauveur, le Messie, le Fils de Dieu. Les chrétiens — et les juifs orthodoxes, sur ce point — insistent sur le fait qu’un gouffre infranchissable sépare l’homme de son Créateur. Or les Évangiles trouvés à Nag Hammadi contredisent cela : pour eux, se connaître soi-même, c’est connaître Dieu. Le Soi et le Divin sont une seule et même chose. Pire encore, en décrivant Jésus comme un maître, un instructeur, un sage éclairé, ils le considèrent comme un homme, quelqu’un que vous ou moi pouvons imiter. Naturellement, cela ne convenait pas à Irénée et aux siens. Leur Jésus ne pouvait être un homme. Il devait être beaucoup plus que cela. Il devait être le Christ, le Fils de Dieu. Il devait être unique , parce qu’en étant unique, il rendait son Église unique et en faisait l’unique chemin vers le salut. En le dépeignant sous ce jour-là, l’Église primitive a pu prétendre que, si on n’était pas avec elle, à suivre ses règles, à vivre selon ses préceptes, on était contre elle et voué à la damnation.
    Vance marqua une pause. Il étudia un instant le visage de Reilly avant de se pencher en avant et de reprendre de sa voix calme :
    — Ce que je vous dis, agent Reilly, c’est que tout ce en quoi les chrétiens croient aujourd’hui, tout ce qu’ils ont cru depuis le IV e siècle, tous les rituels qu’ils observent, l’Eucharistie, les jours saints, rien de tout cela ne faisait partie des croyances des disciples de Jésus. Tout a été fabriqué et ajouté beaucoup plus tard. De la Résurrection à Noël, les rituels ont souvent été empruntés à d’autres religions. Mais les fondateurs de l’Église, ses Pères, ont accompli un travail formidable. Cela fait près de deux mille ans que la Bible est un immense best-seller, mais... mais je pense que les Templiers avaient raison. Même à leur époque, les choses avaient commencé à ne plus être maîtrisées par l’Église et des gens se faisaient déjà massacrer s’ils choisissaient de croire en quelque chose de différent. Et vu l’état du monde aujourd’hui, je dirais qu’elle a allègrement dépassé sa date de péremption.

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    — Vous pensez que c’est ce qu’ils transportaient à bord du Faucon-du-Temple  ? demanda Reilly d’un ton sarcastique. Une preuve que les Évangiles sont, comme vous le prétendez, des ouvrages de fiction ? Une preuve que Jésus n’était pas un être divin ? Même si c’était possible, je pourrais comprendre que ça mine les fondements du christianisme, mais je ne vois pas en quoi ça aurait aidé les Templiers à réunifier les trois religions, en supposant qu’ils aient bien eu ce projet en tête.
    — Ils voulaient commencer avec celle qu’ils connaissaient, répliqua Vance avec assurance, la religion qui était à leur portée, celle dont ils avaient observé les excès. J’imagine qu’ils avaient déjà entrepris de forger des alliances avec des initiés chez les musulmans et les juifs, des partenaires qui pourraient travailler avec eux pour susciter, une fois le mythe démystifié, des questionnements similaires au sein de leur propre foi et paver la voie d’une nouvelle vision du monde unifiée.
    — En sollicitant des foules