Le dernier templier
sommes pas là pour les hommes. L’Église n’est tout simplement plus là pour eux. Pire même : on nous utilise comme excuse pour justifier les guerres et les effusions de sang. Nous sommes entraînés dans une spirale qui nous précipite vers une crise spirituelle terrifiante, agent Reilly. Cette découverte ne pouvait survenir à un pire moment.
Brugnone retomba dans le silence et fixa Reilly.
— C’est peut-être inévitable, suggéra ce dernier d’une voix résignée. C’est peut-être simplement une histoire qui suit son cours.
— Peut-être que l’Église s’éteint à petit feu, admit le cardinal. Toutes les religions déclinent et meurent à un moment donné. Et la nôtre a duré plus longtemps que la plupart. Mais une révélation comme celle-là...
Il soupira.
— En dépit de ses échecs, l’Église représente encore une force considérable dans la vie de nombreux hommes. Des millions d’individus s’appuient sur leur foi pour supporter leur morne existence quotidienne. Dans les moments de besoin, elle continue de leur procurer une consolation. Finalement, la foi nous fournit à tous quelque chose de crucial pour nos existences : elle nous aide à surmonter notre peur de la mort et la crainte de ce qui peut se trouver au-delà de la tombe. Sans leur foi en un Christ ressuscité, des millions d’âmes seraient à la dérive. Ne vous y trompez pas, agent Reilly : permettre à cette révélation d’être rendue publique plongerait le monde dans un état de désespoir et de désillusion sans égal.
Un silence oppressant s’abattit. Reilly se sentait écrasé. Il n’avait aucun moyen d’échapper aux pensées dérangeantes qui envahissaient son esprit. Il songea à l’endroit où toute cette aventure avait commencé pour lui. Il se revit sur les marches du Met avec Aparo, la nuit du saccage des cavaliers. Perdu dans le tourbillon confus de son esprit, il se demandait comment il avait atterri ici, à l’épicentre même de sa foi, engagé dans une conversation profondément perturbante.
— Depuis combien de temps savez-vous la vérité ? demanda-t-il au cardinal.
— Moi, personnellement ?
— Oui.
— Depuis que j’ai pris mon poste actuel. Il y a trente ans.
— Mais vous avez fait avec.
— Fait avec ?
— Vous avez accepté, précisa Reilly.
— Je ne ferai jamais avec, dans le sens que vous entendez. Mais j’ai appris à m’adapter. C’est le mieux que j’ai pu faire.
— Qui d’autre est au courant ?
Reilly percevait la condamnation qui transparaissait dans sa propre voix et il savait que le prélat l’avait notée aussi.
— Une poignée d’entre nous.
L’Américain se demanda ce que cela recouvrait. Et le pape ? Était-il au courant ? Il ne pouvait imaginer que le Saint-Père ne sache pas. Mais il se retint de poser la question. À la place, une autre réflexion se manifesta. Son instinct d’enquêteur refaisait surface en se frayant un chemin dans le bourbier de son esprit torturé.
— Comment savez-vous que c’est vrai ?
Les yeux de Brugnone s’illuminèrent et la commissure de ses lèvres esquissa un sourire. Il parut encouragé par la préoccupation de l’agent américain. Mais le ton lugubre du prélat acheva d’étouffer les espoirs de Reilly.
— Le pape a envoyé ses plus éminents experts à Jérusalem quand les Templiers ont fait cette découverte. Ils ont confirmé qu’elle était authentique.
— Mais cela fait près de mille ans ! s’étonna Reilly. Ils auraient pu être abusés. Et si c’était un faux ? D’après ce que j’ai entendu, il était dans les aptitudes des Templiers de réaliser quelque chose de ce type. Et pourtant, vous êtes prêt à l’accepter comme un fait sans même l’avoir vu... ?
Tout en parlant, l’implication logique de ce qu’il disait lui sauta aux yeux :
— ... ce qui ne peut signifier qu’une chose : vous avez toujours douté de l’histoire racontée dans les Évangiles ?
Brugnone répondit à la consternation de Reilly par un sourire rayonnant.
— Il y a ceux qui pensent que l’histoire n’a jamais été conçue que pour être prise métaphoriquement ; autrement dit, comprendre le christianisme, c’est comprendre l’essence du message qui réside en son coeur. Cependant, la plupart des croyants considèrent que chaque mot de la Bible est, à défaut d’un meilleur terme, parole d’évangile. Je suppose que je me situe quelque part au milieu.
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