Le dernier templier
accompagnaient. Les îliennes la virent et se précipitèrent vers elle. Elles manifestèrent un plaisir non dissimulé de la voir rétablie, répétant incessamment la même phrase :
— Doxa to Théo.
Même si Tess ne comprenait pas ce qu’elles disaient, elle leur sourit en retour et hocha la tête, émue par l’intérêt qu’elles portaient à sa santé. La jeune archéologue devina que les hommes étaient leurs maris, les pêcheurs qui avaient échappé à la fureur de l’ouragan. Ils la saluèrent eux aussi chaleureusement. L’une des femmes montra du doigt un petit groupe de bougies dans une niche au fond de la chapelle. Elle dit quelque chose que Tess ne comprit d’abord pas, mais dont le sens s’éclaira progressivement. Elle expliquait à Tess qu’elles avaient allumé des cierges pour Reilly.
L’Américaine les remercia. Un moment, elle resta immobile, à observer la nef de la chapelle et la population de la petite ville qui était assise là, unie dans la prière à la lumière diffuse des bougies. Puis elle repartit vers la maison du médecin.
Elle passa le reste de la journée près du lit de Reilly. Après des débuts hésitants, elle s’aperçut qu’elle était capable de lui parler. Elle évita d’évoquer les événements récents et, comme elle connaissait très peu sa vie, elle décida de s’en tenir à son propre passé. Elle lui raconta des histoires concernant ses aventures sur le terrain, ses fouilles, ses succès, ses échecs, des anecdotes sur Kim, tout ce qui lui passait par la tête.
Eleni entra dans la chambre vers midi pour l’inviter à descendre déjeuner. Le moment ne pouvait être mieux choisi, car elle se trouvait à court d’histoires et se dirigeait — fort périlleusement — vers l’obligation d’affronter tout ce qu’ils avaient traversé ensemble. L’idée de parler d’un sujet sensible avec lui alors qu’il était encore inconscient la mettait mal à l’aise.
Mavromaras était rentré de ses consultations. Tess l’informa qu’elle avait réfléchi à l’idée de déplacer Sean à Rhodes, et qu’elle préférait le laisser là où il était, tant que le médecin et sa femme acceptaient de les accueillir. Sa décision parut le réjouir et elle fut soulagée de l’entendre répondre, en termes dénués d’ambiguïté, que son ami et elle pouvaient rester là jusqu’à ce qu’une décision importante concernant son état doive être prise.
Le lendemain matin, Tess s’installa au chevet de Reilly. Après le déjeuner, elle ressentit le besoin de prendre l’air. Constatant que la tempête s’était apaisée, elle décida de s’aventurer un peu plus loin.
Le vent n’était plus qu’une forte brise et la pluie avait enfin cessé. En dépit des gros nuages sombres qui flottaient dans le ciel au-dessus de l’île, elle se dit qu’elle aimait cette ville. Elle n’avait pas encore été souillée par le développement moderne et avait conservé intact le charme simple de son passé. Tess trouva apaisantes les ruelles étroites et les maisons pittoresques, et réconfortants les sourires des passants qu’elle croisait. Mavromaras lui avait raconté que Symi avait vécu des temps très durs après la Seconde Guerre mondiale. Pendant le conflit, une grande partie de la population avait dû faire ses paquets et quitter l’île après son bombardement tant par les Alliés que par les forces de l’Axe qui, alternativement, l’avaient occupée. Heureusement, l’île et ses habitants avaient connu des améliorations significatives de leur situation ces dernières années. Elle prospérait de nouveau maintenant que les Athéniens et les étrangers, séduits par son charme, achetaient les vieilles maisons et les restauraient soigneusement pour leur redonner leur ancienne splendeur.
Elle gravit les marches de pierre de la Kali Strata, dépassa le vieux musée et atteignit les ruines d’un château qui avait été construit par les chevaliers de Saint-Jean, les Hospitaliers, au début du XV e siècle, sur le site d’une fortification plus ancienne. Mais il avait été détruit par une explosion pendant la dernière guerre, alors qu’il abritait des stocks de munitions nazis. Tess se promena dans les méandres de l’ancien site. Elle s’arrêta devant la plaque célébrant le souvenir de Philibert de Naillac, le grand maître français des chevaliers {32} . Encore des chevaliers, jusque dans ce petit coin perdu de la planète, songea-t-elle
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