Le dernier vol du faucon
moi. Et j'estime que le moment est venu de faire valoir mes droits. »
22
Avec la maladie du roi, les affaires de l'État étaient pratiquement au point mort. Aussi Phaulkon pouvait-il consacrer son temps libre à rendre la vie de Nellie et de Mark aussi agréable que possible.
Il les avait logés dans le plus beau des appartements réservés aux hôtes de passage, mettant à la disposition de chacun six esclaves. Mark avait son propre bureau ainsi qu'un précepteur qui lui donnait des leçons de siamois. Mais surtout - et c'était le plus important - il l'avait confié à Anek, un jeune serviteur de trois ans plus âgé que Mark et dans lequel il avait toute confiance. Élevé dans la maison de Phaulkon, il avait su faire preuve, en grandissant, de beaucoup d'initiative et de réelles aptitudes. Sa soif de connaissances l'inclinait à s'intéresser à toutes sortes de choses et, quand Mark commença à se plonger avec enthousiasme dans l'étude de la langue siamoise, Anek se fit un plaisir de l'aider pour le vocabulaire et la prononciation. Les deux garçons devinrent rapidement d'inséparables compagnons.
Phaulkon retrouvait en Mark les élans et l'ambition de sa propre jeunesse. Il s'attachait de plus en plus à lui et le soir, après avoir attendu en vain une occasion de s'entretenir avec le roi des affaires importantes, il ne songeait qu'à rentrer chez lui pour observer les progrès de ce fils tombé du ciel.
La santé du roi ne s'améliorait pas et c'était à peine s'il reconnaissait le Barcalon. A plus forte raison se montrait-il incapable de parler avec lui. De Bèze assurait que le Seigneur de la Vie avait subi un tel choc qu'il faudrait peut-être des jours avant qu'il ne retrouve ses facultés. De son côté, Phaulkon demeurait convaincu que seule la lettre de « Dawee » avait pu déclencher cet état d'accablement. Le roi avait été bouleversé par la trahison de Petraja. Depuis quatre jours qu'il avait reçu la lettre, il la tenait toujours enfouie sous ses coussins comme quelque talisman diabolique.
Furieux d'avoir laissé le général lui glisser entre les mains, Phaulkon ne cessait de se le reprocher. Si seulement il n'avait pas hésité quand il l'avait croisé dans la cour! Si seulement le capitaine des gardes était apparu quelques secondes plus tôt! Ses espions lui avaient rapporté que le traître s'était à nouveau réfugié dans son monastère où, sous son habit de moine, il devenait intouchable. Certes, et c'était une maigre consolation, Petraja devait rencontrer de grandes difficultés pour lever des troupes du fond de cette retraite. Il fallait trouver un moyen de l'obliger à sortir et convaincre Desfarges de prêter main-forte avec toute son armée pour assurer la stabilité du régime.
Il se rendit à nouveau au Palais pour rendre visite à Naraï. Dans la chambre royale, seule la respiration rauque et inégale du Seigneur de la Vie se faisait entendre. Phaulkon coula un regard en direction du père de Bèze et le vit secouer la tête en signe d'impuissance. Aujourd'hui encore, rien n'avait changé, le roi demeurait prostré. Phaulkon avait cessé de parler directement au jésuite car un tel manquement à l'étiquette offensait manifestement la scrupuleuse sœur du roi. Les deux hommes correspondaient maintenant par signes et, quand ils avaient des choses importantes à se dire, ils rampaient à reculons jusque dans l'antichambre où ils pouvaient s'exprimer plus librement.
Vichaiyen s'apprêtait à quitter la chambre quand une silhouette massive entra et se prosterna devant le lit royal à côté de lui. Peu de personnes avaient accès au chevet du malade, et Phaulkon allait examiner le nouveau venu quand une voix profonde et familière le fit frémir.
«Auguste et Puissant Souverain, votre esclave supplie le ciel pour que sa voix impure atteigne les divines oreilles du Seigneur de la Vie. »
Seul le silence répondit aux paroles de Sorasak. Dans la pénombre, les deux hommes tournèrent légèrement la tête pour s'observer. Après une autre supplique, toujours sans réponse, Sorasak désigna d'un geste la porte et les deux hommes rampèrent jusqu'à l'antichambre où ils se redressèrent.
Phaulkon étudia le garçon. Il ne semblait pas avoir beaucoup changé durant ces quatre années où on l'avait éloigné du Palais. Avec sa tête épaisse et carrée, ses cheveux coupés court, et ses muscles puissants étirant le tissu du panung, il avait décidément un physique
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