Le dernier vol du faucon
peux-tu le mettre ainsi en danger? Provoquer une crise si terrible? Et où diable est donc ce miraculeux docteur farang?»
Yotatep pinça les lèvres et prit un air méfiant.
«Il n'existe pas de remède pour l'asthme, honorée tante. Le prêtre farang me l'a dit lui-même. C'est peut-être pour cette raison qu'il a cessé de venir.
- S'il en est ainsi, raison de plus pour que la succession soit réglée avec fermeté », rétorqua vivement Yut'atip, les yeux étincelants.
«Mon seul désir est épouser l'héritier légitime du trône, protesta Yotatep avec indignation. La tradition de notre pays veut que ce soient les frères qui assurent la succession. Mon oncle n'est-il pas le plus jeune frère du roi ? »
La vieille princesse perdait patience. «Ton oncle est
en disgrâce et il ne figure donc plus parmi les prétendants. Tout autre monarque moins généreux l'aurait fait rôtir vivant et à petit feu sur une broche, ainsi que l'exige la loi. Franchement, mon enfant, je ne comprends pas pourquoi tu soupires tant après un homme qui a attenté de telle manière à l'honneur de ton père. » Il y eut une pause.
« Parce que je l'aime, vénérable tante. » Ces mots retentirent de façon inquiétante dans toute la pièce et furent suivis d'un profond silence. Même les esclaves, toujours occupés à agiter les éventails, s'immobilisèrent brièvement bien que, selon le protocole, il leur soit interdit d'écouter les conversations privées des membres de la Cour.
Dehors, un roulement de tambour montant de l'enceinte d'un temple résonna puissamment. Par moments, on distinguait l'écho lointain de chants empreints d'une infinie douceur. Une légère brise entra par les fenêtres ouvertes et la respiration du roi s'apaisa progressivement.
La jeune princesse reprit la parole, mais cette fois d'une voix nettement moins incisive. On pouvait même y percevoir un discret appel. « Honorée tante, vous avez voué toute votre existence à la méditation et au célibat. Comment pourriez-vous comprendre ce que je ressens? »
La vieille femme ne répondit pas immédiatement. Ses pires craintes se trouvaient confirmées. Seigneur Bouddha, gémit-elle intérieurement, c'est un mal bien lourd qui afflige ma nièce. Seule une passion aveugle peut ainsi détourner une fille de ses devoirs naturels et la conduire à s'opposer aussi honteusement à l'autorité de son royal père.
Lorsqu'elle répondit enfin, elle fit un effort pour ne pas trahir le dégoût qui l'envahissait. «Au contraire, ma fille, je ne comprends que trop bien les malheurs entraînés par les passions de la chair et je sais combien elles affectent le jugement. Mais je sais aussi que c'est l'obéissance et le sens du devoir qui doivent toujours l'emporter à la fin.» Elle observa une pause,
choisissant avec soin chaque mot. « Souhaites-tu réellement que ce serpent de Sorasak monte sur le trône ?
- Sorasak? répéta la jeune princesse, déconcertée. Comment pourrait-il prétendre au trône? Jamais il ne pourra devenir roi. Officiellement, il est le fils du général Petraja, pas celui de mon père.
- C'est ce que l'on croit, ma fille, mais Sorasak, lui, connaît la vérité. Si la succession n'est pas correctement réglée avant que ton père ne quitte ce monde, son ambition et sa cruauté nous plongeront tous dans la terreur, souviens-toi de ce que je te dis. Ce garçon est rongé par la soif du pouvoir et il brûle de se venger. Il ne trouvera jamais la paix tant que sa véritable identité n'aura pas été révélée au grand jour. Si cette situation n'est pas clairement contrôlée, je peux dès à présent te prédire un bain de sang comme nous n'en avons pas connu depuis l'époque où le roi Prasat T'ong a usurpé le trône. Tu étais trop jeune, alors, pour t'en souvenir, mais des centaines de gens furent massacrés au cours de cette âpre lutte de pouvoir.» Le visage de la princesse s'assombrit. « Tu ne voudrais pas, tout de même, être responsable d'une telle tragédie?»
Yotatep hésita, encore peu convaincue. « Mais voyons, vénérable tante, cela ne se produira pas si j'épouse mon oncle. Puisqu'il est le légitime héritier du trône, le peuple le reconnaîtra comme tel. Nous autres, bouddhistes, ne sommes pas des gens violents. »
Le visage de Yut'atip se voila de mélancolie. « Il est exact que tout au long des multiples conflits qui nous ont opposés aux Birmans nous nous sommes efforcés de ne pas faire de morts,
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