Le dernier vol du faucon
lui, qu'une mauvaise surprise?»
Nellie posa un bras autour de ses épaules. Elle était encore sous le coup de ce qu'il venait de lui apprendre sur les agissements de Jack Tucker.
«Je ne suis pas en mesure de te répondre, Mark, dit-elle comme à chaque lois qu'il l'interrogeait. Mais il n'y a qu'une seule façon de le savoir... »
3
Avec cette détermination que prête une longue habitude du pouvoir, le Seigneur de la Vie prit la parole.
« Notre volonté est que vous épousiez Pra Piya, ma fille.»
Des paroles péremptoires, prononcées avec l'autorité d'un monarque absolu. La voix rauque et profonde résonna dans la chambre à coucher somptueusement décorée de tentures birmanes et de porcelaines Ming d'une valeur inestimable. Le roi remua légèrement sur les coussins de soie entassés sur le splendide lit en bois de teck sculpté. Il agita une main chargée de bagues pour souligner que sa décision était sans appel.
Prosternée au pied du lit, la princesse Yotatep tenait ses épaules rondes ployées si bas qu'elles en touchaient le riche tapis persan. Ses cheveux noirs, coupés court, laissaient apparaître un visage aux traits anguleux. Le regard baissé, ainsi que l'exigeait la coutume, elle se tenait immobile, n'osant lever les yeux vers son père. Une telle impudence, elle le savait, pouvait être punie de mort. On disait même que les concubines royales ne s'aventuraient jamais à croiser le regard du Seigneur de la Vie lorsque celui-ci les appelait à partager sa couche pour une nuit.
Il y eut un long silence. L'émotion de la princesse ne se devinait qu'au soulèvement saccadé de sa jeune poitrine recouverte d'un châle turquoise.
«Noble Père, Seigneur de ma vie, je n'épouserai pas Piya. »
Un calme oppressant tomba sur la chambre royale.
Le long des murs lambrissés, deux autres silhouettes se tenaient accroupies, le cœur battant, entre deux vieux coffres de laque renfermant les plus anciennes écritures bouddhiques. L'une de ces silhouettes était la sœur du roi, la princesse Yut'atip, une femme aux cheveux gris, pieuse, et restée célibataire. L'autre était Omun Sri Munchay, Premier Gentilhomme de la Chambre du roi, seul homme du royaume à connaître le privilège de toucher le bonnet du roi ainsi que ses autres couvre-chefs de cérémonie. Tapis dans les angles les plus sombres de la pièce, une demi-douzaine d'esclaves, vêtus de leur traditionnel panung bleu, se terraient, parfaitement immobiles, osant à peine respirer. Des parfums d'herbes médicinales et d'encens s'élevaient de petites soucoupes disposées à côté du lit du roi, emplissant toute la pièce.
Tous attendaient, terrifiés, que l'ire royale frappe comme un tonnerre.
«Avons-nous bien entendu?» La voix était lourde de rage contenue. «Veux-tu nous répéter ce que tu viens de dire, mon enfant?
- Notre Père, Seigneur de ma vie, je n'épouserai pas Piya. »
Le corps du roi se contracta et, d'une main irritée, il repoussa la montagne de coussins couleur cerise et vert lotus avant de se redresser pour s'asseoir.
« Oserais-tu contester un ordre royal ? cria-t-il, furieux. Est-ce que tu t'imagines pouvoir échapper aux conséquences d'un tel comportement simplement parce que tu es notre seule enfant ? »
Le visage de la jeune princesse, toujours prosternée, se crispa. La tête courbée, elle parla à travers ses mains jointes, le bout des doigts respectueusement posé contre son front.
« Noble Père, c'est justement parce que je suis votre seule enfant que je ne peux souiller le nom royal en me mariant avec un homme d'une condition inférieure.
- Nos désirs passent avant de telles considérations ! rétorqua sèchement la voix royale. Tu sais parfaitement que ces préoccupations ne sont pas de ton ressort. »
La princesse hésita avant de prendre une longue inspiration pour retrouver un peu de forces.
«Seigneur de ma vie, je préférerais mourir que d'épouser un homme aussi ordinaire. » Sa voix s'enfla en un crescendo suppliant. « Mon noble Père lui-même ainsi que tous les souverains qui l'ont précédé ne se sont-ils pas toujours efforcés d'assurer la lignée la plus pure? Moi, Yotatep, ne suis-je pas la fille de la propre sœur de mon père, la princesse Achamalisee? Mes enfants n'auraient-ils pas le droit d'appartenir à une lignée aussi parfaite? Devrais-je être la première à souiller le sang royal en le mêlant à celui d'un roturier?
- Au diable le roturier! tonna le roi. Tu
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