Le dernier vol du faucon

français dans le texte. (N.d.T.)
    Nouveau silence. Le profil, de l'autre côté de la grille, parut se durcir. Apparemment, le prêtre attendait que sa pénitente reprenne le fil de sa confession.
    «Voyez-vous, mon Père, poursuivit Nellie, je n'ai pas été seulement séduite mais abusée. A mon arrivée d'Angleterre, j'ignorais la langue et les coutumes de ce pays. J'avais besoin de porteurs, de provisions et de pirogues pour poursuivre mon voyage. Le gouverneur m'a recueillie en me promettant de m'aider. Mais, en échange, il me demanda de lui accorder... mes faveurs. Rien de bien extraordinaire pour lui car, en tant que bouddhiste, il possède plusieurs épouses. Devant mon refus, il m'a fait mettre sous bonne garde, sous prétexte de nous protéger. Je n'ai pas encore osé avouer la vérité à mon fils.» Sa voix trembla. «Finalement, j'ai cédé aux avances du gouverneur, mais il n'a pas rempli sa part du marché. C'est alors que j'ai envisagé de le tuer. Seule la vue de cette église et l'espoir d'y trouver un prêtre qui compatisse à mon sort ont arrêté mes desseins. En ce moment même, un garde du gouverneur attend dehors pour nous reconduire à sa résidence.» Elle prit un ton désespéré. «Aidez-moi, je vous en supplie ! Je n'ai personne d'autre vers qui me tourner. Votre bonté ne restera pas sans récompense. Je possède assez d'argent pour offrir de riches présents à la maison du Seigneur. »
    Le prêtre demeurait silencieux mais, bien qu'elle ne vît toujours que son profil, elle sentit qu'il écoutait avec attention. La petite église réclamait d'urgentes réparations et Nellie devinait que le père Carvalho pesait le pour et le contre. Il reprit enfin la parole. «Attendez que la messe s'achève, ma fille. Nous prierons alors ensemble et nous reparlerons de tout cela. » Elle fut la dernière à sortir du confessionnal. Lorsqu'elle regagna son banc, évitant le regard chargé de curiosité de son fils, elle vit le prêtre entrer dans la nef. C'était un homme gris et décharné, à la mine bienveillante mais aux yeux tristes, comme s'il pleurait, lui aussi, la gloire déchue de l'Église du Siam. Il jeta à Nellie un coup d'oeil intrigué et elle se demanda avec inquiétude s'il avait été dupe de sa prétendue piété. A moins qu'il n'ait conclu que les rituels catholiques différaient sensiblement selon les pays.
    Lorsque la messe fut terminée et l'ultime fidèle sorti - non sans avoir jeté un dernier coup d'oeil aux nouveaux venus -, le père Carvalho s'agenouilla en face de Nellie et de Mark pour entamer une prière. Le serviteur du gouverneur revint sur ces entrefaites et, d'un signe impérieux, commanda aux deux Anglais de quitter l'église. Le prêtre interrompit son oraison, s'approcha de l'homme et lui parla. Du coin de l'œil, Nellie vit le serviteur secouer la tête avec énergie. Le prêtre reprit sa place à genoux sur le banc. Ses mains se joignirent en une attitude de piété fervente et il commença à murmurer comme si cela faisait partie du rituel liturgique.
    «Ce serviteur ne parle pas français, je suppose? demanda-t-il à mi-voix.
    - Uniquement le siamois, précisa Nellie.
    - Parfait. Je viens de lui expliquer qu'il n'avait pas besoin de vous attendre et que je vous raccompagnerais moi-même. Naturellement, il s'y est opposé mais je lui ai dit que vous n'aviez pas pénétré dans une véritable église depuis de longs mois. » Il observa une courte pause. « Nous n 'avons pas beaucoup de temps. Ayons l'air de prier ensemble afin de ne pas éveiller les soupçons. »
    Il regarda Nellie avec gentillesse. «Vous êtes bel et bien prisonnière, mon enfant.
    - Dans ce cas, vous allez nous aider, n'est-ce pas ? »
    Le prêtre hésita. «Il faudrait d'abord que j'en
    apprenne un peu plus sur vous. Mais le temps presse. »
    On toussa dans leur dos et Nellie réprima difficilement son impatience. Elle se tourna vers Mark. «Va distraire cet encombrant serviteur. »
    Mark se leva et se dirigea vers le seuil de la chapelle où l'homme attendait. Nellie profita de ce court répit pour ouvrir discrètement sa bourse. Elle en sortit deux larges pièces d'argent - témoignages d'un legs hérité de son défunt mari - et les glissa sous le coussin sur lequel elle était agenouillée. Le prêtre l'observa, sans perdre un seul de ses gestes. Il n'était plus temps de faire dans la subtilité, à présent. Elle devait prendre tous les risques.
    «Ce n'est qu'un début, mon