Le dernier vol du faucon

Père. Il y en aura plus si vous nous aidez. »
    De fines gouttes de sueur perlèrent au front du père Carvalho. «Nous devons... en discuter plus avant. Venez dîner chez moi demain.
    - Et sous quel prétexte ? »
    Il réfléchit rapidement. «J'adresserai une invitation au palais du gouverneur en vous priant d'assister à un office spécial qui sera suivi d'une légère collation. La liberté religieuse existe ici et le gouverneur ne pourra refuser. Que Dieu soit avec vous, mon enfant. »
    Le soir suivant, Mark et Nellie se retrouvèrent de nouveau sur les bancs de la chapelle. Ainsi que le père Carvalho l'avait prévu, Ivatt n'avait pu s'opposer à ce déplacement mais, comme on pouvait s'y attendre, l'encombrant serviteur les accompagnait. Cette fois, la petite congrégation se composait uniquement de cinq hommes, tous des Siamois.
    Après la messe, tout le monde prit place autour d'une longue table de réfectoire sous le porche, derrière l'église. Alors qu'il n'avait parlé que d'une modeste collation, le prêtre servit en réalité un repas copieux composé de crevettes et de calamars que tous dégustèrent avec plaisir, y compris le corpulent domestique du gouverneur. Nellie, Mark et le père Carvalho s'étaient installés en bout de table et purent ainsi converser librement.
    - Une chose m'intrigue, ma fille. Pourquoi vous êtes-vous aventurée dans ces lointaines régions?»
    Nellie s était préparée à cet interrogatoire. «Nous faisons route vers Macao, mon Père. Ma sœur y est mariée à un commerçant portugais et nous ne nous sommes pas revues depuis dix-sept ans. Mon mari m'ayant laissé quelque fortune à sa mort, j 'ai décidé d'entreprendre ce voyage pour la revoir. Vous savez, nous étions très proches autrefois. »
    Le prêtre lui jeta un regard étrange. « Et pourquoi ne pas avoir poursuivi par la route maritime? Mer-gui ne se trouve pas sur votre chemin. »
    Nellie n'hésita qu'une seconde. «Nous ne pouvions plus supporter la mer. Je souffrais chaque jour de terribles nausées. »
    Il hocha la tête avec bienveillance. «Je comprends. Toutefois, il est de mon devoir de vous conseiller d'abandonner votre projet de gagner Ayuthia par voie de terre. Le trajet est infiniment plus difficile que par la mer. Toutes sortes d'animaux sauvages infestent les rives du fleuve et les voyageurs doivent passer la nuit dans leurs pirogues. Les villages sont rares, éloignés les uns des autres. Dans un mois, à la saison des pluies la route deviendra quasiment impraticable. De Ceylan, en revanche, vous trouverez des liaisons maritimes régulières pour Macao. Je vais voir ce que je peux faire pour vous dans ce sens. »
    Nellie le fixa d'un air sombre. «Je préférerais mourir que de reprendre la mer! »
    Le père Carvalho haussa les épaules. « Dans ce cas, j'ai bien peur de ne rien pouvoir pour vous.»
    Le cœur de Nellie se serra. Elle n'allait pas retrouver de sitôt quelqu'un capable de l'aider à s'échapper. Pas question de laisser passer cette chance. L'important était de retenir l'attention du prêtre jusqu'à ce qu'elle imagine une solution.
    « Mon Père, une question me brûle les lèvres depuis déjà un bon moment: comment se fait-il qu'un Anglais ait été nommé gouverneur de cette province?
    - C'est un homme proche du Barcalon - le Premier ministre. Un Européen également.
    - Le Premier ministre est européen? s'exclama Nellie, stupéfaite. L'avez-vous déjà rencontré?
    - Oui, une fois. Un homme extraordinaire.»
    Il jeta un coup d'œil en direction de Mark et poursuivit: «D'ailleurs, votre fils me fait penser à lui. Le
    beau type méditerranéen, si vous voyez ce que je veux dire.
    - De quelle nationalité est le Barcalon ?
    - C'est un Grec vénitien, originaire des îles Ioniennes. Et catholique aussi, Dieu soit loué.
    - Comptez-vous beaucoup de convertis parmi la population locale, mon Père ? »
    Le visage du prêtre s'assombrit. «Le bouddhisme est implanté dans ce pays depuis fort longtemps. Mais notre plus grand espoir repose à Ayuthia. L'épouse du Barcalon est portugaise et très influente. De plus, son mari est le favori du roi. Le Seigneur de la Vie, ainsi que l'on appelle ici Sa Majesté, le consulte pour un oui ou un non. Nous prions tous pour que le Barcalon le conduise sur le chemin de la vraie foi. »
    Entendre parler ainsi de Constant troubla Nellie, mais plus elle en apprendrait, mieux ce serait.
    «Croyez-vous qu'il ait une chance de réussir?»
    Le