Le dernier vol du faucon
pas à pas la pente abrupte menant à l'océan. A plusieurs reprises, dans la lumière déclinante, leurs ravisseurs dérapèrent dans la boue et faillirent lâcher leurs charges, les condamnant à une mort certaine. Souffrant de vertige, Nellie n'osait regarder en bas. Les yeux étroitement fermés, elle se mit à prier silencieusement.
Heureusement, ils réussirent à gagner une zone plus plane et Nellie se décida à rouvrir les yeux. Elle aperçut alors un petit bateau. Mon Dieu... pensa-t-elle, où allait-on les emmener? A moins qu'ils ne les abandonnent seuls dans l'embarcation pour les laisser dériver sur la mer...
Lorsqu'ils atteignirent le rivage, une silhouette surgit de l'ombre. Dans un siamois rapide, elle s'adressa aux ravisseurs. Mark et Nellie furent libérés de leurs liens et le nouveau venu s'approcha d'eux. Nellie l'observa plus attentivement et se raidit, n'en croyant pas ses yeux. C'était le prêtre, mais cette fois en vêtements civils.
Il lui sourit et lui retira son bâillon.
« Pardonnez ces méthodes plutôt brutales, mon enfant, mais les œuvres de Dieu empruntent parfois des voies mystérieuses. Je ne peux m exposer directement à la vindicte du gouverneur et je n'ai trouvé que ce moyen pour que votre disparition paraisse plausible. Ne vous inquiétez pas, tout est arrangé. Ces hommes - ce sont des chrétiens - vous accompagneront à Ayuthia. Là-bas, vous irez voir de ma part l'un de mes amis, le père Malthus. Il réside au séminaire jésuite. En attendant, vous serez conduits par une voie détournée à l'embouchure du fleuve Tenasserim où vous attendent des canots et des provisions. Préparez-vous à un voyage rude. Plus loin, vous devrez che-
miner à dos d'éléphant, mais vos guides savent ce qu'ils ont à faire et vous pouvez leur faire confiance. Tous vos biens, ainsi que l'argent, ont été replacés dans votre sac. Il vous suffira de donner aux hommes une petite récompense à la fin du voyage. »
Les pseudo-ravisseurs ôtèrent leurs masques. Abasourdis, Nellie et Mark reconnurent des visages aperçus dans l'église quelques jours plus tôt.
«J'ai une faveur à vous demander, poursuivit le prêtre. Quand vous serez à Macao, remettez ceci à l'évêque.» Il lui tendit un paquet. «C'est une traduction en siamois de l'Evangile selon saint Jean. Ce n'est pas la première, mais la calligraphie est exceptionnelle et j'en suis très fier. J'aimerais que vous rapportiez à l'évêque combien notre église manque de ressources. Il y a longtemps que nous attendons de l'aide de Macao et de Goa. C'est pour cela que je préférerais que vous ne mentionniez pas la généreuse donation que vous m'avez remise. C'est avec reconnaissance que je l'ai acceptée car elle me permettra de parer au plus urgent. Toutefois je ne peux recevoir davantage d'argent. C'est à l'Église, à présent, de nous venir en aide.
- Vous pouvez compter sur ma discrétion, mon Père, répondit Nellie, non sans éprouver une secrète culpabilité en songeant à Macao. Je serai heureuse de plaider votre cause avec ardeur.
- Bien. Maintenant, il faut que vous partiez. Un périple épuisant vous attend. Si vous trouvez la nourriture trop indigeste, n'oubliez pas que les Français occupent le fort de Bangkok. Vous y ferez halte sur votre route et je suis certain que les officiers ne seront que trop heureux de vous recevoir. N'oubliez pas mon ami Malthus à Avuthia.
- Je n'ai jamais rencontré un prêtre comme vous», assura Nellie avec sincérité en sautant dans le bateau.
Il sourit. «Nous sommes en Asie, mon enfant, pas dans votre puritaine Angleterre. Que Dieu vous protège tous les deux. »
En proie à de mauvais pressentiments, le général Petraja se dirigea vers la cellule de l'abbé. Il avançait, la tête légèrement penchée ainsi qu'on le lui avait enseigné, ne regardant ni à droite ni à gauche, veillant à ne pas balancer les bras. Deux heures à peine s'étaient écoulées depuis qu'il avait trouvé le billet du Maître sur sa natte et il avait mal dormi.
Il maudit à nouveau le nom de Sorasak, ses excès et sa cruauté. A cause de lui, il avait dû rompre avec la règle monastique, laquelle interdisait tout contact avec le monde extérieur. A son entrée dans les ordres, il avait pourtant fait beaucoup d'efforts pour gagner la confiance de l 'abbé mais sans parvenir encore, il le devinait, à le convaincre de sa sincérité. Ce dernier manquement risquait de faire déborder la
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