Le dernier vol du faucon
devant nous un long chemin à parcourir, et il est essentiel que nous puissions nous faire mutuellement confiance. Puisque vous avez tenu parole et gagné ainsi mon indéfectible fidélité, il est temps, à présent, que je vous expose mon plan. »
Le prince lui jeta un regard circonspect. « Quel est ce plan, Général ? »
Petraja prit un ton de sincérité affectée.
« Le pays est en proie à la plus vive agitation, Altesse: votre frère trop malade pour gouverner, le Premier ministre Vichaiyen de plus en plus impopulaire, les Français ouvertement détestés. De plus, la rumeur court que leurs troupes se préparent à attaquer. » Il marqua une pause pour ménager ses effets. « Voilà pourquoi il est indispensable que nous levions nous-mêmes une armée qui sera placée au service de
Votre Altesse sous les ordres de votre fidèle serviteur. Mais Sa Majesté hésite à donner son consentement, car ce serpent de Vichaiyen dissimule la vérité et lui présente une situation fausse qui sert ses desseins. Vichaiyen sait que sans les Français il serait perdu. Aussi continue-t-il à leur faire miroiter la perspective d'un Siam catholique. Réduits à l'état d'eunuques, il ne nous resterait plus qu'à contempler, impuissants, notre pays sombrer entre les mains de ces traîtres. » Le prince réfléchissait. «Je suis d'accord avec votre raisonnement, Général, mais comment pourrais-je, moi, vous donner cette autorisation ? »
Petraja prit une mine de conspirateur. «Vous ne le pouvez pas maintenant , Altesse, cependant vous pouvez m'aider à convaincre votre frère de donner cet ordre.
- Et comment cela, Général?» demanda le prince, la mine dubitative.
Petraja garda un instant le silence. « Votre Altesse royale, ce que j 'ai à vous dire est difficile à exprimer. Il s'agit d'une proposition sacrilège, blasphématoire, barbare même, et sa seule justification sera de servir des fins nécessaires. Nous traversons une époque dangereuse et ne pouvons y échapper que par des stratégies tout aussi dangereuses. Vichaiyen a sur l'esprit de votre frère une emprise si diabolique que seul un choc profond pourrait réussir à anéantir ses manœuvres. Je sollicite votre autorisation d'informer Sa Majesté que votre frère Chao Fa Apai Tôt se propose de profaner les restes mortels de Sa Majesté après sa mort. »
Bouche bée, le prince fixa le général, les yeux écar-quillés. Petraja se tut, laissant ses paroles faire leur chemin. Chao Fa Apai Tôt était légitimement le premier sur la liste des héritiers du trône. Mais c'était un simple d'esprit et un grand amateur de vin de palme fermenté, ce qui ne faisait qu'accroître sa faiblesse mentale. En outre, il bégayait fortement et son comportement imprévisible, de même que son absence de pensée logique, avait contraint le roi à le confiner,
sous bonne garde, dans une aile du Palais. La population avait accepté depuis longtemps qu'il soit écarté de la succession en faveur de son plus jeune frère, jusqu'à ce que celui-ci tombe à son tour en disgrâce après avoir entretenu une liaison avec Thepine, la concubine préférée du roi.
Petraja retint un sourire. La nature vindicative d'Apai Tôt bien connue rendait plausible ce plan audacieux.
Le prince retrouva enfin la voix, mais une voix pleine d'incrédulité et d'horreur.
« Général, comment pouvez-vous concevoir des idées aussi indécentes? Je n'ai tout de même pas besoin de vous rappeler que les rituels destinés à accompagner l'esprit du défunt au cours de son voyage dans l'au-delà constituent la part la plus essentielle du bouddhisme, l'essence même de notre foi en la réincarnation. Sans ces rites, l'âme de mon frère sera condamnée à errer sans but pour l'éternité. Personne ne peut souhaiter cela, même à son pire ennemi. » Petraja leva une main apaisante. «Vous m'avez mal compris, Altesse. Cela ne se produira pas. Il s'agit seulement d'un stratagème, d'une arme contre Vichaiyen à laquelle il ne pourra rien opposer.» Il regarda sévèrement le prince. «Plus que tout autre, c'est Vichaiyen qui vous empêchera d'accéder au trône. Ne comprenez-vous pas que seule la crainte d'un tel outrage tirera enfin le roi de ses rêves? Ce n'est que sous cette pression qu'il me donnera l'ordre de lever une armée. Car il croira - et je ferai tout pour l'en convaincre - qu'Apai Tôt ne pourrait songer à un acte aussi abominable sans le soutien d'hommes armés. Je m'engagerai à
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