Le dernier vol du faucon
sourcils avec colère. «Et moi, je vous répète que vous nous faites perdre notre temps. Je ne vous obéis que pour faire partir ces soldats. Leur présence ici est un blasphème. »
De Bèze s'inclina brièvement, s'excusa et quitta la pièce. Nellie le vit parler aux hommes de Phaulkon qui l'écoutèrent avec attention. Ils étaient une douzaine, tous solidement charpentés et équipés, certains de poignards ou d'épées, d'autres d'une arme qu'elle n'avait encore jamais vue et qui ressemblait à une sorte de harpon. La moitié d'entre eux étaient des Siamois, les autres de type eurasien.
Instinctivement, elle se sentait attirée par le petit jésuite, non seulement parce qu'il pouvait la conduire à Phaulkon mais aussi pour son sang-froid devant l'hostilité et les provocations du père Ducaze, qu'elle devinait terriblement dogmatique - un inflexible soldat de Dieu. Elle ne connaissait que trop bien, hélas, ce genre de fanatisme qui lui donnait la chair de poule.
Une très jeune fille, fragile comme un oiseau, pénétra dans la pièce en même temps que de Bèze. Ses yeux sombres parcoururent nerveusement l'assemblée. Si les femmes siamoises étaient généralement torse nu ou ne portaient tout au plus qu'un châle souplement drapé sur leurs seins, celle-ci, sans doute par déférence pour ses nouveaux mentors, avait revêtu une blouse à col mandarin. Dans ce sanctuaire presque exclusivement réservé aux hommes, elle était l'une des rares femmes converties et semblait inquiète de cette convocation inattendue.
«Voici le père de Bèze, commença Ducaze en siamois. Il désire te poser quelques questions. »
La fille se tourna timidement vers le religieux qui hocha la tête en signe d'encouragement. Ils se lancèrent alors dans une conversation en siamois dont Nel-lie ne put comprendre un traître mot. Elle nota cependant que la jeune femme devenait de plus en plus nerveuse et que ses réponses tenaient le plus souvent en de simples monosyllabes. Nellie regarda Mark dans l'espoir qu'il pourrait saisir quelques bribes de cet interrogatoire mais, à son expression, elle vit qu'il n'y parvenait pas.
De Bèze dit alors quelque chose à la jeune femme qui se mit à trembler avant de se tourner vers le père Ducaze, comme pour l'appeler à l'aide. Indigné, le supérieur du séminaire protesta avec véhémence.
«En voilà assez! Cette fille ne peut en aucune manière être arrêtée, ni même soupçonnée. Vous n'êtes pas à un tribunal d'Inquisition!
- Désolé, mon Frère, insista fermement de Bèze, mais je suis certain qu'elle nous cache quelque chose. Je dois l'emmener afin de la questionner plus avant.
- L'emmener? explosa Ducaze. Et où donc, je vous prie?
- A Louvo, chez le seigneur Phaulkon. Après tout, c'est lui qui doit se justifier, n'est-ce pas?» répliqua de Bèze d'un ton sarcastique.
Ducaze ne sut que dire, dérouté par cette allusion directe aux soupçons portés par sa congrégation contre le Barcalon. Si nombre de jésuites ne craignaient pas, entre eux, de l'accuser, ils n'étaient pas encore prêts à l'affronter.
Le lieutenant Sautier se leva. « Si cette femme est mêlée à l'affaire d'une manière ou d'une autre, il est de mon devoir de la ramener au fort. Le général Desfarges voudra l'interroger.»
Furieux, Ducaze le foudroya du regard. Comment osaient-ils, l'un et l'autre, avoir l'audace d'emmener l'une de ses protégées.
«A présent, écoutez-moi bien tous les deux. Cette femme appartient à notre séminaire. C'est une innocente enfant que vous effrayez sans raison. Il est évident que vous prenez sa nervosité pour de la culpabilité. Il est temps de la renvoyer dans sa chambre.»
La jeune fille sembla nettement soulagée quand
Ducaze la prit par le bras pour la conduire hors de la pièce. Mais de Bèze le suivit et Sautier, ne voulant pas être en reste, l'imita. Nellie et Mark virent le petit prêtre murmurer quelques mots au capitaine de sa garde et, en un clin d'œil, trois soldats entourèrent la jeune Siamoise pour l'éloigner de Ducaze. Sautier voulut intervenir, mais il se retrouva prestement retenu par les gardes.
Nellie et Mark se levèrent et rejoignirent les autres dehors. Comme Ducaze protestait encore, de Bèze, toujours très calme, prit la parole :
«Fort bien, mon Frère, j'accepte de ne pas emmener cette fille si, de votre côté, vous vous montrez raisonnable. Nous allons résoudre la question ici et tout de suite. Voulez-vous nous
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