Le dernier vol du faucon
vous perdriez ainsi mon appui et celui de l'armée française, même si, je le sais, vous ne faites pas grand cas de mon opinion. »
Cette fois, Phaulkon commençait à perdre patience.
«Contrairement à vos insinuations, votre avis compte pour moi, Maria. Mais je viens de vous déclarer catégoriquement que je n'avais rien à voir dans le meurtre de Malthus. Néanmoins vous persistez à m'accuser.
Me croyez-vous donc assez stupide pour me mettre à dos l'armée française?
- C'est précisément la question que je me pose. Vous saviez que Malthus cherchait à dresser les Français contre vous, répondit-elle en s'échauffant. Selon le témoignage de votre seconde "famille", Somchai aurait prononcé votre nom en plongeant son poignard dans la poitrine du malheureux. »
Il la regarda, abasourdi. «Nellie vous a dit cela?
- Oui, ce sont exactement les paroles de... votre Nellie.» On aurait dit qu'elle crachait en prononçant ce nom.
Un toussotement discret se fit entendre à la porte.
« Puissant Seigneur, veuillez pardonner cette intrusion indigne, mais le gouverneur de Mergui attend dehors depuis quelque temps déjà. Il sollicite une audience de Votre Excellence.
- Thomas Ivatt? Ici?» s écria Phaulkon, brusquement soulagé. Ivatt était son allié le plus proche et il avait bien besoin d'un ami en ce moment.
Il regarda Maria, attendant sa réaction.
«Très bien, dit-elle lentement, je m'en vais. Je vous ai dit comment se présentaient les choses. La suite est entre vos mains. »
Elle se dirigea vers la porte. Avant d'en franchir le seuil, elle se retourna brusquement. «Un mois, Constant. N'oubliez pas.»
Il ne répondit pas. Son esprit tourbillonnait pour assimiler tous ces développements récents. A cet instant précis, Ivatt entra par une autre porte, sans voir Maria. Quand il la découvrit enfin, il s'immobilisa, l'air confus.
«Veuillez accepter mes excuses, milady. Je ne vous avais pas vue. Que l'on couse mes lèvres pour me punir d'un tel manquement ! » Il se dirigea vers elle et lui baisa galamment la main. «Suis-je pardonné?
- Je ne suis pas d'humeur à pardonner, Thomas, lança-t-elle froidement. Votre ami Constant vous en expliquera sûrement les raisons mieux que moi.»
Perplexe, Ivatt ne sut que répondre. En quête d'une explication, il se tourna vers Phaulkon, mais son expression ne lui apprit rien.
«Vous partez donc?» dit-il un peu gauchement à Maria.
Elle esquissa un mince sourire forcé. « Pour peut-être plus longtemps que vous ne l'imaginez.»
Dès qu'elle fut sortie, Constant saisit son vieil ami par les épaules et l'examina. «Tu as l'air en pleine forme, Thomas. C'est Dieu qui t'envoie. Tu n'imagines pas à quel point je suis heureux de te voir. »
Thomas lui jeta un regard intrigué. « Que se passe-t-il ? »
Phaulkon hésita, ne sachant par où commencer.
«J'espère seulement que ce n'est pas une nouvelle crise qui t'amène de Mergui. J'ai déjà suffisamment de problèmes à régler comme cela. »
L'inquiétude de Thomas ne fit qu'augmenter. «Pas une crise politique, Constant, répondit-il, presque sur un ton d'excuse. Mais des soucis qui, j'en ai bien peur, concernent ta vie privée.
- Encore ! » gémit Constant.
Ivatt s'efforça d'aborder le sujet avec légèreté. « Eh bien, vieux fripon, voilà une histoire dont tu ne m'avais jamais parlé... »
Phaulkon le regarda sans comprendre. Jamais Ivatt ne lui avait vu un air aussi soucieux.
« Est-ce que le nom de Nellie Tucker te rappelle quelque chose ? »
Encore sous le choc des événements de ces dernières heures, Phaulkon se sentait trop épuisé pour avoir envie de rire. Il réussit néanmoins à esquisser un sourire las.
«Hélas oui, mon ami, soupira-t-il. Je ne le connais que trop bien... »
Debout dans le bureau de Phaulkon, Somchai ne semblait éprouver aucun repentir tandis que ses yeux étroits et méfiants dévisageaient Nellie et Mark avec insolence. On lui avait entravé les pieds et les mains et deux solides gardes le tenaient de chaque côté.
Aidé des témoignages de Nellie et de Mark, Phaulkon tentait de retracer en détail les événements qui s'étaient déroulés sur le bateau. Il avait déjà interrogé le suspect, mais sans résultat. Somchai s'était contenté de brèves et dédaigneuses réponses et Phaulkon commençait sérieusement à perdre patience.
Il ne savait encore que peu de choses sur lui, en dehors du fait qu'il s'était converti au christianisme,
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