Le discours d’un roi

était dû à un manque de rythme. Cela, elle peut maintenant le sentir et le voir, grâce à la danse. »
    Logue était de l’avis de Rumsey quant aux explications physiques du bégaiement. Comme l’expliqua plus tard un de ses anciens patients, il pensait que le problème était attribuable à un manque de coordination entre la pensée et le diaphragme, et, une fois installé ce « manque de synchronisme », il devenait rapidement une habitude. Dans le cadre de son traitement, Logue amenait ses patients à désapprendre l’ensemble de cette coordination erronée qu’ils avaient développée et réapprendre à parler. « Mais il faut garder à l’esprit que la clé du problème, c’est le diagnostic », poursuivait-il.
    Certaines personnes ont du mal à prendre leur respiration, chez d’autres, le diaphragme se bloque, chez d’autres encore, le cerveau ne parvient pas à suivre le rythme des mots. Beaucoup de gens, qui n’ont pas coutume de bégayer, se trouvent incapables de parler sans heurt quand ils sont surexcités. Cela illustre généralement un troisième type de défaut – la pensée devance la respiration et l’articulation. Un blocage se produit jusqu’à ce que le cerveau parvienne, pour ainsi dire, à revenir sur ses pas et à démêler le noeud 13 .
    Logue présenta ses idées sous un jour légèrement différent dans un entretien radiophonique intitulé Voix et murs de briques, diffusé le 19 août 1925 depuis Londres, sur 2LO, l’une des stations gérées par la toute nouvelle British Broadcasting Company 14 . Le titre qu’il avait choisi faisait référence aux trois principaux obstacles qui, selon lui, empêchait une bonne élocution : une mauvaise respiration, une mauvaise production de la voix, et une prononciation et une énonciation incorrectes.
    Mais, continua-t-il, rien n’était plus pénible qu’un défaut d’élocution du niveau d’un balbutiement ou d’un bégaiement.
    Je ne connais rien qui soit susceptible d’ériger un « mur de briques » plus infranchissable que ce défaut ; la seule consolation étant qu’avec beaucoup de travail de la part de l’élève, il est aujourd’hui possible d’en guérir en environ trois mois ; mais l’ignorance à ce sujet est consternante.
    Les gens affligés de ces défauts peuvent, la plupart du temps, chanter avec aisance et crier lors de matchs sans difficulté ; mais un acte simple, comme l’achat d’un billet de train ou le fait de demander son chemin, est synonyme de souffrances inimaginables.
    Ceux qui ont eu à traiter des cas de ce genre pendant et après la guerre savent que la thérapie vocale a été et est toujours d’une grande aide, en les soulageant de la torture du mot parlé grâce au mot chanté.
    Dans sa discussion, Logue décrivit ensuite une étrange expérience au cours de laquelle il avait réussi, par des moyens visuels, à faire baisser une voix trop haut placée. Le patient se tenait devant un pupitre contenant des ampoules colorées, et il lui était demandé d’émettre un son ordinaire en regardant la lumière la plus forte. Puis il devait baisser d’un ton sa voix normale tandis que les lumières étaient éteintes une à une. Ce qui amenait la voix, au prix d’efforts considérables, à une tessiture plus grave. Puis on recommençait un ton plus bas, jusqu’à ce que la voix se place soudain d’elle-même à une tessiture plus grave.
    I - Nul besoin de bégayer .

Chapitre quatre
    Aggravation
    Le futur roi George VI naquit le 14 décembre 1895 à York Cottage, dans le domaine de Sandringham, sur la rive sud de la Wash. Il était le deuxième fils du futur George V, et un arrière-petit-fils de la reine Victoria. Les canons tonnèrent à Hyde Park et à la tour de Londres. « Un petit garçon est né, pesant près de 3,6 kilos, à 3 h 30 (S.T.), tout s’est fort bien passé, les deux vont très bien, nota son père. Envoyé grande quantité de télégrammes, ai mangé quelque chose. Me suis couché à 6 h 45 très fatigué 15 . » Les lettres « S.T. » faisaient référence non à l’heure d’été (« summer time »), mais à l’heure de Sandringham, coutume familiale imposée par son père Édouard VII, grand amateur de chasse, qui avançait les pendules d’une demi-heure et pratiquait ainsi sa propre version des économies d’énergie, afin de pouvoir chasser un peu plus longtemps avant la nuit.
    Dans le calendrier royal, ce n’est pas une date très