Le discours d’un roi
mois précédent, toujours en quête de moyens d’augmenter ses revenus, il avait accepté un poste de civil assermenté auprès de la police, quand le pays était paralysé par la grève générale, ce qui lui rapportait six shillings par jour.
L’orthophonie, et plus particulièrement le traitement du bégaiement, en était encore relativement à ses débuts. « C’était une époque pionnière pour la parole, et dans notre lointaine Australie, nous ne savions rien des méthodes Curatum, et nous avons dû nous contenter de tenter des expériences, se souvenait Logue des années plus tard. Il y aurait de quoi remplir un livre avec les erreurs commises en ce temps-là. »
Il semble que des gens aient souffert de troubles de l’élocution dès que l’homme commença à parler. Le Livre d’Isaïe, qui aurait été écrit au VIII e siècle avant J.-C., fait trois fois référence au bégaiement 10 . Les anciens Égyptiens avaient même un signe hiéroglyphique pour en représenter la notion. Dans la Grèce antique, tant Hérodote qu’Hippocrate en font mention, bien que ce soit Aristote qui donne la description la plus détaillée de ce que savaient les Grecs de l’époque au sujet des défauts de la parole. Dans ses Problemata, il dépeint plusieurs types de troubles de l’élocution, dont un, inoschophonos, a été traduit par « bégaiement ». Il avait également remarqué que les bègues avaient tendance à souffrir davantage quand ils étaient nerveux – et moins quand ils étaient ivres.
Le bègue le plus célèbre du monde antique fut Démosthène. Comme le rapporte Plutarque dans ses Vies parallèles, il parlait avec des cailloux dans la bouche, s’entraînait devant un grand miroir ou récitait des vers tout en montant et descendant à flanc de colline en courant afin de lutter contre son bégaiement. Ces exercices lui auraient été prescrits par Satyre, un acteur grec dont il avait demandé l’aide. L’empereur romain Claude, qui régna de 41 à 54 de notre ère, bégayait lui aussi, mais aucun texte ne rapporte qu’il ait tenté de lutter contre ce défaut.
C’est au XIX e siècle que les problèmes d’élocution ont commencé à susciter un intérêt, en partie grâce aux progrès de la médecine. Vers le milieu du siècle, des recherches physiologiques étaient menées sur le son et notre façon de le produire, ainsi que sur l’audition. Il restait encore beaucoup à découvrir : il fallut attendre le milieu du XX e siècle pour que l’on comprenne pleinement la phonation (l’articulation des sons de la parole). L’époque accordant de plus en plus d’importance à l’éloquence, il était logique que la médecine s’intéressât de plus près à la malheureuse minorité pour laquelle la prononciation d’une simple phrase était déjà une terrible torture.
Un des premiers à écrire sur le bégaiement à l’époque moderne fut Johann K. Amman, médecin suisse qui vécut à la fin du XVII e siècle et au début du XVIII e . Il lui donna le nom latin d’ hesitantia 11 . Si son traitement s’efforçait avant tout de contrôler la langue, Amman considérait le bégaiement comme une « mauvaise habitude ». Les auteurs qui suivirent eurent tendance à y voir un caractère acquis essentiellement lié à la peur.
Avec le développement des connaissances dans le domaine de l’anatomie, on commença à chercher davantage d’explications physiologiques qui se concentraient sur les éléments de l’organisme impliqués dans le processus de l’articulation, de la phonation et de la respiration. Le bégaiement fut décrit comme un trouble dans l’une ou l’autre de ces fonctions. On s’intéressait alors surtout à la langue : certains spécialistes la disaient trop faible, d’autres, en revanche, estimaient qu’elle était trop énergique.
Sous sa forme la plus inoffensive, cette théorie qui rejetait la faute sur la langue aboutit à la prescription d’exercice de contrôle de la langue et à l’emploi d’étranges dispositifs comme la plaque d’or en forme de fourche pour soutenir la langue, inventée par Jean-Marc-Gaspard Itard, un médecin français spécialiste des sourds-muets. Il était aussi recommandé aux patients de serrer de petits morceaux de liège entre les dents. Sous sa forme la plus inquiétante, elle déboucha sur la mode de la chirurgie de la langue, dont le précurseur fut Johann Dieffenbach, un chirurgien allemand, en 1840, dont
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