Le discours d’un roi
celui-ci finirait par suivre son exemple. Dans un supplément spécial publié la veille du mariage, un journaliste du Times avait exprimé sa satisfaction que le duc eût choisi une épouse qui était « si profondément britannique » et avait parlé en termes positifs de son « courage et de sa persévérance ». Pourtant, il avait conclu, comme beaucoup l’avaient fait à l’époque, en comparant Bertie à son « brillant aîné », ajoutant : « Mais il est un mariage que les gens attendent avec un intérêt encore plus marqué – le mariage qui donnera une épouse à l’héritier du trône et, par la nature des choses, une future reine d’Angleterre aux peuples britanniques. » Le journal et ses lecteurs n’étaient pas au bout de leurs surprises.
Son mariage fut un tournant dans la vie du duc : il fut plus heureux, plus à l’aise, en particulier avec le roi. Il fut aidé en cela par la véritable dévotion de son père envers Elizabeth. Bien que maniaque de la ponctualité, il pardonnait ses retards chroniques à sa belle-fille. Un jour, quand elle se présenta à un déjeuner alors que les convives étaient déjà tous assis, il murmura : « Ce n’est pas vous qui êtes en retard, ma chère. C’est nous qui avons dû nous asseoir trop tôt. » La naissance de leur première fille, Elizabeth, la future reine, le 21 avril 1926, rapprocha encore la famille.
Au début, ils vécurent à White Lodge, en plein milieu de Richmond Park, un grand domaine un peu austère que le roi George II s’était fait construire dans les années 1720. Mais le couple souhaitait vraiment vivre à Londres et, après avoir longuement cherché un logement adapté à leur budget, en 1927, ils s’installèrent au 145, Piccadilly, bâtisse en pierre proche de Hyde Park Corner, orientée au sud avec vue sur Green Park, vers Buckingham Palace.
Le duc continuait de visiter des usines, un travail qui semblait le combler. Il n’en allait pas du tout de même, en revanche, de ses fonctions plus officielles, surtout quand il devait effectuer des discours. Il était toujours paralysé par son défaut d’élocution. Le caractère optimiste et aimable de son enfance disparut peu à peu derrière un masque lugubre et réservé. Le handicap de son mari et l’impact qu’il avait sur lui commencèrent aussi à affecter la duchesse. D’après le récit d’un contemporain, chaque fois qu’il se levait pour répondre à un toast, elle agrippait le bord de la table à s’en faire blanchir les jointures de peur qu’il ne bégaye et soit incapable de prononcer un mot 27 . Ce qui accroissait encore la nervosité du duc et aboutissait à des crises de colère que son épouse était la seule à pouvoir calmer.
Tout le monde prit douloureusement conscience de l’étendue des problèmes d’élocution du duc en mai 1925, quand il dut succéder à son frère aîné en tant que président de l’Exposition impériale à Wembley. À cette occasion, il devait tenir un discours le 10 du mois. L’année précédente, des milliers de personnes étaient venues voir le prince de Galles, silhouette mince aux cheveux dorés, demander officiellement à son père l’autorisation de proclamer l’ouverture de l’Exposition. Le roi avait répondu quelques mots, et pour la première fois, toute la nation avait entendu sa voix, retransmise par ce qui s’appelait encore la British Broadcasting Company (qui deviendrait plus tard Corporation). « Tout s’est fort bien déroulé », nota le roi dans son journal 28 .
C’était maintenant au duc de prendre la suite. Le discours lui-même était court, et il le répéta fiévreusement, mais sa terreur à l’idée de s’exprimer en public se faisait sentir. Prendre la parole pour la première fois officiellement en présence de son père était tout aussi effrayant. Le grand jour approchant, il devint de plus en plus nerveux. « J’espère sincèrement que je m’en tirerai bien, écrivit-il au roi. Mais je vais être terrifié, car vous ne m’avez jamais entendu parler et les haut-parleurs ont aussi de quoi vous perturber. Aussi, j’espère que vous comprendrez que je ne pourrai qu’être plus nerveux que d’ordinaire 29 . »
Une répétition de dernière minute à Wembley ne fit rien pour arranger les choses. Alors qu’il avait déjà prononcé quelques phrases, le duc comprit qu’aucun son ne sortait des haut-parleurs, et il se tourna vers les officiels qui
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