Le discours d’un roi
l’entouraient. Au même moment, quelqu’un appuya enfin sur le bon bouton. Brutalement, sa voix retentit dans le stade désert alors qu’il déclarait : « Ces satanés machins ne marchent pas. »
Le véritable discours du duc, retransmis non seulement en Grande-Bretagne mais dans le monde entier, fut une humiliation. S’il parvint à aller jusqu’au bout par la seule force de sa volonté, sa prestation fut assombrie par quelques instants gênants, ses mâchoires s’agitant sans qu’il émette un seul son. Le roi s’efforça de voir le bon côté des choses : « Bertie s’est fort bien tiré de son discours, mais il y a eu quelques pauses un peu longues », écrivit-il le lendemain au prince George, jeune frère du duc 30 .
On ne saurait sous-estimer l’impact psychologique qu’eut le discours tant sur Bertie que sur sa famille, et les problèmes que posa sa lamentable prestation à la monarchie. Les discours de ce genre faisaient théoriquement partie de son quotidien, le duc étant le deuxième dans l’ordre de succession au trône, or, il avait clairement montré qu’il n’était pas à la hauteur. Les conséquences pour son propre avenir et celui de la monarchie paraissaient graves. Comme le dit un biographe de l’époque : « Il devenait de plus en plus manifeste qu’il faudrait prendre des mesures radicales si l’on ne voulait qu’il devienne un personnage timide, nerveux et en retrait, sort que connaissent tous ceux qui sont affligés de défauts d’élocution 31 . »
Le hasard voulut que Lionel Logue se soit trouvé dans l’assistance ce jour-là à Wembley, et qu’il eût entendu le discours du duc. Inévitablement, cela éveilla son intérêt professionnel. « Il est trop âgé pour que je parvienne à le guérir complètement, dit-il à son fils Laurie, qui était venu avec lui. Mais je pourrais presque y arriver, j’en suis sûr. » Par un autre hasard tout aussi étrange, l’occasion allait justement lui en être donnée – quelques mois plus tard, cependant.
Les versions divergent quant à la façon dont le duc est devenu le patient le plus célèbre de Logue. Mais d’après John Gordon, du Sunday Express, la cascade d’événements qui y aboutit fut déclenchée l’année suivante quand un Australien, qui avait rencontré Logue, croisa la route d’un écuyer royal, lequel ne fit pas mystère de ses inquiétudes.
« Je dois me rendre aux États-Unis pour voir si je peux ramener un spécialiste des défauts d’élocution afin qu’il ausculte le duc d’York, expliqua l’écuyer. Mais c’est tellement désespéré. Ici, il a déjà été vu par neuf experts. Nous avons essayé tous les traitements possibles. Et aucun n’a eu le moindre succès. »
L’Australien avait une solution. « Il y a un jeune Australien qui vient juste d’arriver, répondit-il. Il a l’air bien. Pourquoi ne pas essayer avec lui ? »
Le lendemain, 17 octobre 1926, l’écuyer se rendit au cabinet de Logue, à Harley Street. Logue fit bonne impression, et l’écuyer lui demanda s’il serait en mesure de rencontrer le duc afin de voir ce qu’il pourrait faire pour lui. « Oui, fit Logue. Mais c’est lui qui doit venir me voir ici. Cela lui impose un effort qui est essentiel à la réussite. Si je le vois chez lui, nous perdrons cet élément de valeur. »
Il existe une autre version, plus curieuse, qui veut que le rôle d’intermédiaire ait été joué par Evelyn « Boo » Laye, superbe star du music-hall. Le duc avait eu le béguin pour elle la première fois qu’il l’avait vue sur scène, quand il avait dix-neuf ans, en 1920. Laye, soprano lyrique, devint ensuite son amie, et celle de son épouse. Cinq ans plus tard, elle se produisait à l’Adelphi Theatre, où elle jouait le premier rôle de Betty Mayfair, une comédie musicale. Elle devait donner huit représentations par semaine, et ce programme éprouvant commençait à avoir un effet sur sa voix.
D’après Michael Thornton, auteur et ami de longue date de Laye, la chanteuse demanda conseil à Logue, qui diagnostiqua une production incorrecte de la voix et lui prescrivit des exercices de respiration profonde en rapport avec le diaphragme, qui eurent tôt fait de la soulager. Ainsi, durant l’été 1926, quand elle rencontra la duchesse d’York et que leur conversation porta sur le prochain voyage du couple en Australie et tous les discours que le duc devrait y effectuer, Laye lui recommanda
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