Le discours d’un roi
la liaison de son frère avec Mme Simpson allait atteindre son paroxysme et, pour l’instant au moins, il y avait des affaires plus pressantes que son problème d’élocution.
Le 3 décembre, la presse britannique rompit le silence auquel elle s’était astreinte. Le catalyseur fut pour le moins étrange : dans un discours donné à l’occasion d’une conférence dans une église, Alfred Blunt, évêque de Bradford, avait déclaré que le roi avait besoin de grâce divine ; dans le public, un journaliste interpréta, à tort, cette affirmation comme une allusion peu voilée à la liaison du roi. Lorsque son compte rendu fut transmis par la Press Association, l’agence de presse nationale, les journaux y virent le signe qu’ils attendaient tous : ils pouvaient enfin rendre compte de la vie amoureuse du monarque.
Au cours des mois précédents, seul un petit nombre de Britanniques était au courant de se qui se passait. Les journaux rattrapèrent rapidement le temps perdu, et remplirent leurs pages d’articles relatant des réunions de crise au palais, de clichés de Mme Simpson et de l’opinion des passants sur le sujet. « Ils ont beaucoup en commun, commençait un portrait enthousiaste du couple royal dans le Daily Mirror du 4 décembre. Ils aiment tous deux la mer, adorent nager, le golf et le jardinage. Et ils n’ont pas tardé à découvrir qu’ils s’aimaient aussi. »
Les York venaient de passer quelques jours en Écosse. En descendant du train de nuit à la gare d’Euston, le matin du 3 décembre, ils tombèrent sur des affiches de journaux annonçant : « Le mariage du roi ». Profondément choqués, ils prirent conscience des implications que cela entraînerait pour eux. Quand le duc parla à son frère, il le trouva « en état d’excitation intense ». Apparemment, le roi n’avait pas encore tranché ; il évoqua l’idée de mettre son sort entre les mains du peuple, et de passer un peu de temps à l’étranger 66 . En attendant, il demanda à Wallis de partir, pour sa propre sécurité. Elle recevait des lettres d’insulte, et des briques avaient été jetées à travers les fenêtres de la maison qu’elle louait à Regent’s Park. On craignait que le pire ne restât à venir.
Le même jour, le duc tenta de joindre son frère, qui se terrait à Fort Belvedere, sa retraite à Windsor Great Park, mais sans succès. Il multiplia les coups de fil au cours des jours suivants, mais le roi refusait de le voir, déclarant qu’il ne savait toujours pas ce qu’il allait faire. Malgré l’immense impact qu’aurait sa décision sur son jeune frère, Édouard ne lui demanda pas son avis.
De nombreuses personnes passent leur vie professionnelle à rêver d’une promotion, mais le duc, lui, n’avait aucune envie de devenir roi. Pris d’un mauvais pressentiment, il était « muet et brisé », et « dans un terrible état d’inquiétude, car David refuse de le voir ou de l’appeler au téléphone », affirma la princesse Olga, l’épouse du prince Paul de Yougoslavie et soeur de la duchesse de Kent 67 . Le soir du dimanche 6 décembre, le duc appela le Fort ; on lui répondit que son frère était en conférence, et qu’il le rappellerait plus tard. Il ne le fit jamais.
Enfin, le jour suivant, il l’invita à passer au Fort après le dîner. « L’affreux suspense de l’attente était fini, écrivit le duc dans son compte rendu de l’événement. Je l’ai trouvé [le roi] en train de marcher en long et en large dans la pièce, et il m’a informé de sa décision de partir 68 . » En rentrant chez lui ce soir-là, le duc apprit que sa femme avait contracté la grippe. Elle resta au lit les jours suivants, tandis que des événements dramatiques se déroulaient autour d’elle. « Bertie et moi sommes au désespoir, la tension est terrible, écrivit-elle à sa soeur May. Chaque journée dure une semaine ; notre seul espoir reste l’affection et le soutien de notre famille et de nos amis 69 . »
Les événements se précipitèrent. Lors du dîner du 8 décembre, qui réunissait notamment le duc et le Premier ministre, le roi fit savoir que sa décision était prise. D’après le compte rendu de Baldwin, il « a simplement arpenté la pièce en disant : “C’est la femme la plus merveilleuse au monde.” ».
Le duc était d’humeur sombre. C’était là un dîner, écrivit-il plus tard, « que je ne suis pas près d’oublier ».
Le
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