Le discours d’un roi
10 décembre, à 10 heures du matin, dans le salon octogonal de Fort Belvedere, le roi signa l’acte d’abdication où il promettait de « renoncer au trône, pour moi et mes descendants ». L’authenticité du document fut certifiée par le duc, qui lui succédait désormais sous le nom de George VI, ainsi que par leurs deux jeunes frères, les ducs de Gloucester et de Kent.
Le soir même, après un dîner d’adieux en famille au Royal Lodge, l’homme qui n’était plus roi s’adressa à la nation, du château de Windsor. Il fut présenté par sir John Reith, directeur général de la BBC, comme « Son Altesse Royale le prince Édouard ». « Il m’est devenu impossible de continuer de porter le lourd fardeau de la responsabilité royale et de m’acquitter des devoirs d’un roi, comme j’aurais aimé le faire, sans l’aide et le soutien de la femme que j’aime », déclara-t-il. Édouard sera resté sur le trône tout juste 327 jours, le règne le plus court depuis celui, contesté, de Jane Grey, près de quatre siècles plus tôt.
Ayant regagné Royal Lodge pour dire au revoir à sa famille, il partit juste après minuit et se rendit à Portsmouth, où le destroyer HMS Fury l’attendait pour l’emmener en exil, de l’autre côté de la Manche. Prenant conscience de l’énormité de son acte, il passa la nuit à boire et à marcher de long en large dans le carré des officiers, dans un état de vive agitation. Le duc de Windsor – c’est ainsi qu’il serait désormais connu – traversa la France pour gagner l’Autriche, où il attendrait jusqu’à ce que le divorce de Wallis soit définitif, au mois d’avril.
Le 12 décembre, à son Conseil d’accession, le duc d’York, à présent le roi George VI, affirma son « adhésion aux principes stricts du gouvernement constitutionnel et… la résolution d’oeuvrer avant tout pour le bien du Commonwealth britannique des nations ». Sa voix était basse et claire mais, inévitablement, ses mots étaient ponctués d’hésitations.
Deux jours plus tard, Logue joignit ses félicitations à celles des autres lors de ses habituels voeux d’anniversaire. « Je vous offre mes voeux très humbles mais très sincères pour votre accession au trône, écrivit-il. C’est un autre de mes rêves devenu réalité, et il est très agréable. » Voyant le moyen de renouer d’anciens liens, il ajouta : « Puis-je me permettre d’écrire à Votre Majesté à l’occasion de la nouvelle année, et vous proposer mes services 70 ? »
Les journaux accueillirent la résolution de la crise et l’arrivée du nouveau roi avec enthousiasme. Bertie n’avait peut-être pas le charme ni le charisme de son frère aîné, mais il était sérieux et digne de confiance. Il avait aussi l’avantage d’avoir à ses côtés une épouse belle et populaire, ainsi que deux jeunes filles dont chaque fait et geste avait été suivi par la presse depuis leur naissance. « Le monde entier les adore aujourd’hui », déclara le Daily Mirror dans un article sur Elizabeth et Margaret, qu’il appelait « les grandes petites soeurs ».
Certains observateurs étrangers se permirent plus de cynisme. « Ni le roi George, ni la reine Elizabeth n’a mené une existence où un quelconque événement aurait pu éveiller l’intérêt du public britannique, et cette dernière semaine s’est déroulée exactement comme la plupart de leurs sujets le souhaitaient. En effet, un Calvin Coolidge I est entré à Buckingham Palace, avec Shirley Temple comme fille », commenta le Time 71 .
Le roi était toujours menacé par son problème d’élocution. Grâce à Logue, il avait fait d’immenses progrès depuis son intervention humiliante à Wembley une décennie plus tôt, mais n’était pas pour autant guéri de sa nervosité. Pour des raisons évidentes, on avait décidé de ne pas attirer l’attention sur ce problème ; Logue fut donc consterné lorsque Cosmo Lang, l’archevêque de Canterbury, fit allusion à son bégaiement dans un discours le 13 décembre, deux jours après l’abdication.
Lang, une figure très influente, choqua les esprits de nombreux auditeurs en s’attaquant à l’ancien roi qui, dit-il, avait trahi la haute confiance placée en lui pour s’adonner à « un désir de bonheur personnel ». « Ce qu’il y a d’encore plus triste et étrange, c’est qu’il n’ait pas cherché ce bonheur en accord avec les principes
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