Le discours d’un roi
le monde semblait plein d’entrain. Logue et le roi retournèrent vers le micro pour faire un essai. Ils l’entendirent résonner dans le grand combiné situé dans la pièce d’à côté. Alors on l’éteignit, et le reste de la famille royale et leurs invités s’entassèrent dans la nursery pour y suivre la diffusion.
À 14 h 55, le roi alluma une cigarette et se mit à arpenter la pièce. Wood essaya de mettre la lumière rouge en marche pour vérifier qu’elle fonctionnait, et ils synchronisèrent leurs montres. Une minute avant de commencer, le roi jeta sa cigarette dans la cheminée et attendit, mains jointes derrière le dos. La lumière rouge clignota quatre fois ; il s’avança vers le micro. L’ampoule s’éteignit quelques instants, puis s’alluma complètement, et il se mit à parler de sa belle voix modulée.
« Nombre d’entre vous doivent se souvenir des discours de Noël des années précédentes, quand mon père s’adressait à ses peuples, en Angleterre et outre-mer, en tant que chef vénéré d’une grande famille… »
Il parlait trop vite : près de cent mots par minute, au lieu des quatre-vingt-cinq préconisés par Wood. Il avait aussi du mal à en prononcer certains, son débit étant trop rapide.
« Ses paroles ont apporté le bonheur dans les foyers et les coeurs des auditeurs partout dans le monde », poursuivit le roi. Logue constata avec satisfaction que son débit ralentissait.
Plus loin dans le discours – c’était un ajout que les journaux ne manquèrent pas de relever –, il insista sur le fait qu’il s’agirait d’une occasion unique, et non d’une tradition : « Je ne puis aspirer à prendre sa place ; je ne pense pas non plus que vous aimeriez me voir poursuivre, sans la modifier, une tradition qui lui était si personnelle. »
Le roi continua au même rythme, marquant une pause bien sentie vers la fin. Au bout de trois minutes et vingt secondes précisément, ce fut fini. « Il a voulu trop insister sur deux mots », nota Logue.
Mais au roi, il déclara : « Puis-je être le premier à vous féliciter, Sire, pour votre premier discours de Noël. » Le roi lui serra la main, lui décocha, selon Logue, « son charmant sourire d’écolier », et dit : « Allons à l’intérieur. »
Ils regagnèrent la salle de réception, où la famille royale et les invités affluaient de la nursery. Ils s’attroupèrent autour du roi et le félicitèrent à leur tour. Il était 15 h 20 ; la famille royale et les visiteurs commencèrent à se disperser. Certains allèrent dans leur chambre, d’autres partirent se promener. Le roi, sa femme et sa mère regagnèrent la salle de Wood pour écouter la diffusion.
La reine Mary, âgée de soixante-dix ans, était aussi fascinée par l’équipement qu’une petite fille et, après avoir serré la main des hommes, elle demanda qu’on lui en explique le fonctionnement. Puis le téléphone sonna. Wood décrocha et déclara : « Londres est prêt à nous repasser l’enregistrement, Votre Majesté. » La reine Mary s’assit devant le micro, et Logue se mit debout, une main sur la chaise. Le roi était adossé au mur ; la reine, le rouge aux joues et le visage animé, se tenait dans l’embrasure de la porte.
C’est alors que résonnèrent les premières mesures de l’hymne britannique, God Save the King, et ils entendirent de nouveau le discours. Quand ce fut terminé, la reine Mary les remercia tous et demanda à Wood : « Est-ce que vous faisiez tout cela quand mon défunt mari prononçait son discours, est-ce que vous étiez tous ici ? »
« Oui, Votre Majesté », répondit Wood.
« Et je n’en savais rien », répliqua Mary, un peu tristement, selon Logue.
En traversant la salle où se trouvaient les micros, sa belle-fille, la reine Elizabeth, arrêta l’orthophoniste et, posant une main sur son épaule, lui dit : « Monsieur Logue, je pense que Bertie et moi ne vous remercierons jamais assez pour ce que vous avez fait. Regardez-le. Je crois que je ne l’ai jamais vu aussi heureux. »
Logue, saisi d’émotion, eut du mal à retenir ses larmes. Ils entrèrent alors dans la salle de réception, où il s’assit avec le roi et la reine devant la cheminée pendant près d’une heure, et discuta de tout ce qui était survenu au cours des sept mois depuis le couronnement.
Juste avant l’heure du thé, le roi se leva. « Oh, Logue, j’aimerais vous parler », dit-il.
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